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dimanche 24 septembre 2023
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Anicet Dologuélé : « Je ne comprends pas l’intérêt de légaliser le Bitcoin »

La Centrafrique est devenue le premier pays africain – et le deuxième au monde, après le Salvador – à légaliser l’usage du Bitcoin dans les transactions. Le Bitcoin y est désormais considéré comme une monnaie de référence, au côté du franc CFA. Cette décision, qui a pris presque tout le monde de court, suscite des réactions diverses. L’économiste centrafricain Anicet-Georges Dologuélé, ex-premier ministre et ancien ministre des finances, estime que les autorités se trompent de priorités.

Propos recueillis par Arthur Malu-Malu.

Makanisi : En temps normal, quel bénéfice pourrait tirer le pays de la légalisation du Bitcoin pour diversifier les sources de financement de son économie ?  

Anicet-Georges Dologuélé : Nous sommes le deuxième pays au monde à avoir mis en place une réglementation sur le Bitcoin, après le Salvador. Adopter le Bitcoin et mettre en place une réglementation sont deux choses différentes. Qu’il y ait une loi ou pas sur le Bitcoin, l’opérateur qui veut l’utiliser sait comment l’utiliser. Je ne comprends pas l’intérêt de légaliser le Bitcoin. Nous faisons partie d’une zone monétaire.  Pour élaborer cette loi, on n’a pas consulté une seule fois la Banque centrale, alors que la loi comporte des obligations pour la Banque centrale.

Tout est lié à des intérêts privés. L’intérêt supérieur de la nation n’a pas été pris en compte dans cette affaire.

Si aucun argument économique ne plaide en faveur de l’adoption de cette loi sur le Bitcoin, qu’est-ce qui expliquerait cette initiative ?

Des pseudo-hommes d’affaires de la sous-région d’Afrique centrale, en provenance d’un pays voisin notamment, sont venus faire des conférences auxquelles le président a participé. Dans une vidéo qui circule sur Internet, le président prend part à une cérémonie de dédicace du livre d’un opérateur économique sur le Bitcoin. Voilà quelqu’un qui crée une compagnie aérienne, avec un avion de six places. Il lance une collecte de l’épargne nationale dans cette cryptomonnaie et convainc les autorités de mon pays de réglementer le Bitcoin pour lui permettre de continuer son opération illégale de collecte de l’épargne. Tout est lié à des intérêts privés. L’intérêt supérieur de la nation n’a pas été pris en compte dans cette affaire.

Comment définiriez-vous une cryptomonnaie en termes simples ?

Il y a une définition simple. Je n’ai pas besoin d’en rajouter. Une cryptomonnaie est une monnaie virtuelle qui permet de réaliser une transaction de pair à pair. Elle échappe à tout contrôle réglementaire et à tout contrôle d’une Banque centrale de manière virtuelle. Le Nigeria mène une réflexion à ce sujet. La Banque centrale du Nigeria, la première puissance économique du continent, travaille sur une monnaie digitale dénommée l’e-naira. Au lieu d’être obligés d’avoir un compte bancaire, les quelque 200 millions de Nigérians pourraient effectuer des transactions à l’aide d’une monnaie virtuelle contrôlée par la Banque centrale. Cela sera réglementé. Cela facilitera la vie de la population, parce que les banques ne peuvent pas intervenir partout.

Les émissions d’une cryptomonnaie comme le Bitcoin sont plafonnées. Ce qui signifie que même s’il y a des besoins de financement de l’économie, on ne peut pas aller au-delà de certaines limites…

Oui, mais… Nos besoins sont tellement minuscules que c’est largement en deçà du maximum fixé. Si vous voyez le différentiel qui reste pour atteindre le plafond du Bitcoin, nous ne sommes pas très loin. Nous sommes autour de 2 à 3 milliards de dollars de différentiel par rapport à ce plafond. Nous partons du principe que nos besoins, qui sont faibles, tournent autour de quelques dizaines de millions de dollars. Ce qui se passe en RCA relève de l’affairisme de bas niveau.

Comment les milieux d’affaires ont-ils réagi à l’annonce sur le Bitcoin ? 

Je crois qu’ils ont été surpris comme moi. Je mentirais si je disais que j’étais en colère. Je ne sais pas comment cette idée a germé dans la tête de celui qui a décidé.

Nous faisons partie d’une zone monétaire. Nous avons confié notre souveraineté monétaire à la Banque centrale des États de l’Afrique centrale. Il y a donc une réflexion en cours pour créer une monnaie digitale, adossée au FCFA

Y a-t-il eu un débat à l’Assemblée nationale sur cette question ?

Comment allez-vous faire un débat sur la cryptomonnaie au sein d’une population qui aspire à manger une fois par jour et qui ne sait même pas de quoi il s’agit ?

Toute réflexion sur la cryptomonnaie, disons autre que le Bitcoin, serait-elle prématurée ou inutile à ce stade ?

Je ne pense pas que toute réflexion sur la question soit inutile. Soyons disciplinés. Nous faisons partie d’une zone monétaire. Nous avons confié notre souveraineté monétaire à la Banque centrale des États de l’Afrique centrale. Il y a donc une réflexion en cours pour créer une monnaie digitale adossée au franc CFA. La réflexion est menée par les autorités monétaires, par la Banque centrale. Une équipe a été mise en place à l’échelle de la CEMAC depuis 2018, à la fois pour mettre cela en place et réglementer l’activité. De nombreux pays réfléchissent à ce dossier. Même la Banque d’Angleterre n’a pas encore finalisé sa e-monnaie. N’allons pas trop vite en besogne.

Le budget de la RCA pour l’année 2022, en recettes d’origine nationale, c’est-à-dire ce que nous collectons en interne, est de 127 milliards de FCFA. Soit environ 200 millions de dollars.

Dans quel état se trouve l’économie centrafricaine ?

Je suis un ancien ministre des finances. Et j’ai passé une bonne partie de ma vie professionnelle dans des institutions de financement de la sous-région, à la Banque centrale et à la banque de développement. Je suis donc de près tout ce qui concerne singulièrement l’économie de mon pays. Le budget de la RCA pour l’année 2022, en recettes d’origine nationale, c’est-à-dire ce que nous collectons en interne, est de 127 milliards de FCFA. Soit environ 200 millions de dollars. Il faut partir de là, sinon on se perd. Nous recevons à peu près 300 millions de dollars d’appuis extérieurs. La RCA fonctionne avec un budget de moins de 300 milliards de FCFA, ce qui est l’un des budgets les plus bas de la planète. C’est insignifiant, alors que c’est un pays immensément riche.

Lire aussi : La République centrafricaine en chiffres. Édition 2021. https://www.makanisi.org/la-republique-centrafricaine-en-chiffres-edition-2021/

Pratiquement, le monde entier est dans nos murs pour chercher de l’or et du diamant. L’or et le diamant rapportent paradoxalement au budget de l’État moins de deux millions d’euros par an. Je pense vraiment que 85 % de la population de ce pays devrait se consacrer à l’agriculture. Elle ne peut cependant pas se livrer à cette activité à cause des groupes armés qui opèrent par-ci, par-là. Nous avons littéralement abandonné l’agriculture, dont les cultures de rente que le pays exportait autrefois… Nous n’exportons rien dans ce secteur. Nous avons besoin de relancer notre agriculture parce que tout pousse dans ce pays. Rien qu’avec l’agriculture, le PIB pourrait faire un bond, voire décupler. En réalité, la principale exportation de la RCA reste un peu de bois, qui est exporté sans être transformé au préalable. Nous sommes en train de parler de l’une des économies les plus rudimentaires du monde.

Qu’en est-il des fournitures de services ?

Près de 3 % de la population a accès à l’électricité et entre 7 à 10 % à l’Internet. Quant à l’eau potable, il faut oublier. Quand on regarde le panorama de l’économie centrafricaine, on peut se demander de quoi a besoin prioritairement ce pays. Nous avons besoin de réorganiser notre économie pour que ceux qui viennent investir dans les mines puissent évoluer vers une exploitation contrôlée, si possible industrielle ou semi-industrielle, payer un maximum de taxes à l‘État, embaucher un maximum de jeunes dans ces activités pour faire tourner l’économie et ainsi permettre au pays de vivre enfin de son or et de son diamant.

Nous n’avons pas encore la fibre optique. C’est en cours depuis 6-7 ans, mais on ne voit pas venir les choses, alors que l’Internet est indispensable pour le minage de la cryptomonnaie

Les mines sont-elles situées principalement dans les localités contrôlées par le gouvernement ?

Non, partout où il y a des mines, sont installés des groupes armés ou des mercenaires. Cela échappe à tout contrôle du gouvernement. Les permis miniers qui sont octroyés n’apportent pas grand-chose au Trésor. Nous ne sommes qu’une population de 5 millions de personnes sur un territoire de plus de 620 000 km2. Nous n’avons pas encore la fibre optique. C’est en cours depuis 6-7 ans, mais on ne voit pas venir les choses, alors que l’Internet est indispensable pour le minage de la cryptomonnaie. Le Trésor centrafricain doit disposer de plus de ressources pour faire fonctionner l’État. Ceux qui nous aident sont des partenaires bilatéraux ou des institutions multilatérales, c’est-à-dire la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, pour les prêts, y compris quelques prêts concessionnels, et, essentiellement, l’Union européenne, pour les dons. Cela dépend également de l’état de notre diplomatie. Expliquez-moi ce que le Bitcoin vient faire là-dedans. Nous n’allons quand même pas demander à l’Union européenne d’aider désormais la RCA en matière de Bitcoin, parce que nous avons besoin de financements bilatéraux et multilatéraux pour survivre.

Tous ceux qui exploitent le diamant et l’or s’arrangent pour échapper à leurs obligations fiscales. Ils font de la gymnastique pour que, physiquement, ils sortent leurs produits du pays par des canaux illégaux. Le Bitcoin leur permettra ainsi d’échapper à la conversion parce qu’ils sont obligés de venir ici et de convertir leur monnaie en CFA, pour acheter clandestinement notre diamant et notre or, en vue d’exporter. On leur donne la possibilité de ne pas avoir besoin de déplacer leur argent, d’acheter sans que cela ne se remarque, sans que l’État ne contrôle quoi que ce soit. Où se situe l’intérêt du pays ? Je passe beaucoup de temps à chercher, mais je n’ai pas encore trouvé.

Celui qui apporte de l’argent dans un pays comme la RCA, doit être sûr qu’il peut le faire fructifier, qu’il aura la sécurité juridique et judiciaire et qu’il pourra s’installer, pour une longue durée, et avoir un personnel bien formé, de sorte que tout le monde en profite

Comment la RCA peut-elle trouver d’autres moyens de financement de son économie sans toujours compter sur ses partenaires habituels tels que le FMI, l’Union européenne, etc.

Nous n’inventons pas la roue. Les États marchent comme ils marchent. Et sont tels qu’ils sont. Certains se sont développés avant nous. Nous avons la possibilité de faire ce qu’on appelle des « Build-Operate-Transfer » (BOT). Il s’agirait de permettre à des opérateurs de construire des ouvrages chez nous qu’ils exploiteraient. Cette approche nous aiderait à nous doter d’infrastructures gérées par ces opérateurs sur le long terme. Nous devons surtout organiser notre administration et notre économie pour engranger plus de recettes. Nous devons rassurer les investisseurs publics et privés. Celui qui apporte de l’argent doit être sûr qu’il peut le faire fructifier, qu’il aura la sécurité juridique et judiciaire et qu’il pourra s’installer, pendant un temps relativement long, et avoir un personnel bien formé, de sorte que tout le monde en profite.

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