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mercredi 8 mai 2024
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Gourdault-Montagne : « Les autres pays ne pensent pas comme nous »

« Les autres ne pensent pas comme nous »… Tel est le titre évocateur de l’ouvrage de Maurice Gourdault-Montagne. Il s’agit des mémoires d’un diplomate chevronné, qui se penche sur la diplomatie française, les pays où il a été en poste (Allemagne, Royaume-Uni, Japon, Inde, Chine, etc.) et la marche du monde. C’est le récit d’un homme qui a occupé des postes importants à l’Élysée, à Matignon et au Quai d’Orsay.

Ce livre, écrit dans un style fluide, est à la fois une déclaration d’admiration pour Jacques Chirac et une déclaration d’amour pour la France. Maurice Gourdault-Montagne (MGM) a été au service de cinq présidents et de quinze ministres des Affaires étrangères. Grand serviteur de l’État, il se livre sans vraiment se livrer. Il dit sans tout dire. L’ouvrage ne fourmille pas d’anecdotes. Le style, c’est l’homme. Ses mémoires reflètent bien ce que ceux qui le connaissent disent de lui : un homme brillant et pudique.

Au fil des pages, MGM balaie de son regard neuf les crises internationales, l’évolution de la diplomatie française et le rôle que la France, avec ses forces et ses faiblesses, est appelée à jouer pour rayonner à l’international. Et il constate, avec une pointe de lucidité, que les partenaires de Paris (Berlin, Washington, New-Delhi, Tokyo, etc.) et les pays qui lui sont hostiles ne voient pas nécessairement les choses comme la France. « Un Allemand n’est pas un Français qui parle allemand », tranche-t-il, tout en se demandant si l’universalisme n’est pas un piège pour la compréhension des autres.

Dans les arcanes de la diplomatie française

« Les autres ne pensent pas comme nous » est une visite guidée dans les arcanes de la diplomatie française. Mais le lecteur n’entre pas dans toutes les pièces de la maison, car certaines portes sont, à juste titre, fermées. Le livre n’a pas vocation à mettre sur la place publique les secrets des délibérations qui ont lieu au Quai d’Orsay ou à l’Élysée.

Fort de son expérience de plus de trente ans au cœur du système, MGM a vu et entendu des choses. Il a assisté à des réunions qui ont débouché sur des décisions importantes. Cette position privilégiée l’autorise, à juste titre, à distribuer de bons et mauvais points, en gardant toutefois le sens de la mesure.

Que pense-t-il d’Emmanuel Macron ? « L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron suscita un véritable espoir bientôt déçu, faute que les discours débouchent sur des projets concrets et partagés. Il faut dire que les délais pour constituer un gouvernement après les élections allemandes en septembre 2017 désynchronisèrent les deux pays. »

L’action de Jean-Yves Le Drian

MGM se prononce également sur l’action de Jean-Yves Le Drian, qui occupa le poste de ministre des Affaires étrangères sous Emmanuel Macron. « Si le bilan de Jean-Yves Le Drian reste encore à établir et souffrira peut-être de la comparaison avec la trace laissée au ministère de la Défense, la personnalité du ministre, son expérience politique nationale, sa connaissance des dirigeants étrangers, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique, lui ont assuré une aura certaine, dont la discrétion qu’il s’est imposée ou qu’il a recherchée l’a peut-être empêché de tirer tout le parti. »

Cependant, l’auteur n’idéalise pas cet univers diplomatique français qu’il connaît comme sa poche, mais qui reste méconnu du grand public. Pour preuve, il n’occulte pas ce qui est inhérent à toute organisation humaine d’une telle importance : croche-pieds, rivalités internes, affrontements d’ambitions… Tout (ou presque) y est.

Le métier de diplomate a aussi sa face sombre : il incite parfois à frayer avec des milieux peu recommandables, à condition de se fixer des lignes rouges. « Être diplomate, note MGM, c’est aussi savoir fréquenter des lobbyistes, des intermédiaires souvent bien informés, des réseaux d’affaires parfois aux limites de la légalité, sans se compromettre ou perturber l’exercice de la fonction officielle qui vous est confiée ».

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Quid de l’Afrique ?

Si elle n’occupe pas une place centrale, l’Afrique est tout de même présente dans cet ouvrage qui raconte aussi un parcours, des voyages, des rencontres…

La guerre en Libye, dans laquelle la France de Nicolas Sarkozy est intervenue militairement et qui a été marquée par l’assassinat du colonel Khadafi, n’échappe pas à l’analyse de MGM. « La ‘’saison 2’’ d’Alain Juppé au Quai d’Orsay est à la fois plus courte et plus compliquée. Elle est largement dominée par l’éclosion des « Printemps arabes », vis-à-vis desquels la France, forte de ses liens historiques avec les pays concernés, s’est vite retrouvée en porte-à-faux. L’intervention en Libye, qui en est le prolongement direct, illustre cette difficulté. Le ministre n’est guère favorable à une immixtion de la France. Mais il redoute le bain de sang promis par Kadhafi aux habitants de la ville de Benghazi, convaincu que rien, pas même les armes occidentales, n’arrêtera le guide de Tripoli, dont on sait par expérience qu’il est capable de tout, à en juger par le souvenir de ses actions terroristes, y compris d’avoir abattu un DC10 d’UTA, ce qui causa la mort de centaines d’innocents. Le gouvernement a probablement aussi la hantise de devoir revivre une situation équivalente à celle du Rwanda, où la France serait accusée d’en faire trop, trop peu, ou d’en faire trop tard, prise à partie par les belligérants, instrumentalisée dans un combat qui n’est pas le sien. »

« Le temps passant, je reste convaincu que cette intervention était nécessaire, tant que nous aurions porté sur notre conscience le poids d’un véritable bain de sang à Benghazi. Pour autant, le plan d’accompagnement des suites de l’opération militaire a été insuffisamment préparé, en raison des ambiguïtés des belligérants », ajoute-t-il.

Éloge d’Alain Ross

MGM fait également l’éloge d’Alain Ross, un diplomate « pétri de culture, curieux de tout, bref, une forte personnalité » qu’il a rencontré en Inde et qui, dit-il, l’a formé. Il se souvient du rôle joué par Alain Ross vers la fin des années 70 dans un conflit qui a déchiré ce qui est devenu la République démocratique du Congo. 

« ll (André Ross) a représenté la France au Zaïre au temps de l’intervention à Kolwezi. On lui doit d’avoir activement contribué au sauvetage des Français présents sur place en prétextant une demande d’assistance militaire émanant de Mobutu auprès du président Giscard d’Estaing pour contrer les rebelles. Mobutu n’avait rien de demandé de la sorte, n’ayant pas vraiment pris la mesure de l’urgence, au contraire de notre représentant. C’est son audacieuse initiative qui força la décision et empêcha le massacre de nos compatriotes en permettant d’envoyer nos parachutistes. Toutes ces raisons me portent à l’admirer. »

Paris et Kigali

Au sujet du Rwanda, qui a eu une longue période de relations difficiles avec la France après le génocide de 1994, il écrit : « Nul ne pouvait anticiper les massacres qui eurent lieu. Juppé a veillé scrupuleusement, à l’époque, sous l’autorité du président de la République et du Premier ministre, à ce que l’opération Turquoise qui sauva la vie de tant d’hommes et de femmes du Rwanda ne sorte pas du cadre fixé par les Nations unies. Sans doute peut-on rétrospectivement estimer que nous aurions dû aller au-delà du mandat. Il est toujours plus facile de juger l’histoire avec les lunettes du présent que de se remémorer les circonstances du moment. »

« Nous devons regarder en face les données nouvelles du continent africain. La pénétration chinoise, via la prise de contrôle de secteurs productifs de certains pays, les incursions russes via la logique du mercenariat de sécurité, ne doivent pas, me semble-t-il, nous conduire au chantage ou au renoncement, mais à une appréciation objective des réalités. »

Silence sur la place de l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU

L’ordre international en place depuis la fin de la guerre, en 1945, s’illustre, au sein de l’Organisation des nations unies, par une situation anachronique : le conseil de sécurité de l’organisation internationale, l’organe exécutif de l’ONU, compte cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France) disposant d’un droit de veto. Pourtant, des voix s’élèvent depuis plusieurs décennies pour réclamer la réforme de cet organe onusien dont l’Afrique est exclue à un certain niveau. La réforme du conseil de sécurité est l’une des principales revendications portées par les élites et la jeunesse africaines. Mais nulle part, dans son livre, MGM ne voit la nécessité d’une redistribution de cartes pour que l’Afrique, qui pèse 1,5 milliard d’êtres humains, ait, d’une manière ou d’une autre, également un statut de membre permanent du conseil de sécurité doté d’un droit de veto. En revanche, il souscrit à une vieille proposition de Jacques Chirac de voir… l’Inde intégrer ce club fermé.

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Un vent de pessimisme

MGM voit d’un mauvais œil la tournure prise par la diplomatie française sous la présidence de Macron. Il estime que les réformes en cours risquent de d’affaiblir la voix de la France dans le monde. « Si nous voulons conserver nos atouts dans un monde qui change, si nous voulons demeurer une puissance qui compte, avec une voix propre, il nous faut préserver un réseau diplomatique d’envergure. Or celui-ci est aujourd’hui en phase de repli, quand d’autres nations font un effort significatif pour le développer », explique-t-il.

« On doit avoir le courage de reconnaître aujourd’hui que la recherche effrénée d’économies menace la qualité de notre outil diplomatique, la pérennité de notre réseau et le rayonnement de notre politique étrangère», poursuit-il.

En effet, les effectifs du ministère des Affaires étrangères ne cessent de baisser. Ils sont passés de 28 000 en 1986 à 13 000 en 2022. Cela représente une réduction de plus de la moitié en une trentaine d’années. « Sur le plan intérieur, la France est un pays affaibli et je constate qu’il est perçu comme tel à l’étranger », écrit MGM.

Lorsqu’on referme ce livre, au bout de 396 pages, on se rend compte qu’on a, d’une part, appris des choses et que, d’autre part, il laisse un petit arrière-goût d’inachevé. On aurait bien voulu en savoir davantage sur notamment la place que le bloc appelé Occident – à l’intérieur duquel se trouve la France – pourrait occuper dans le monde de demain, qui, peu à peu, prend forme, alors que le monde d’hier n’a pas encore disparu. Ce monde de demain devrait être piloté par la Chine et les États-Unis. Quelles pourraient en être les implications ?

Maurice Gourdault-Montagne

Les autres ne pensent pas comme nous 

  • Édition : Bouquins
  • Collection : Mémoires
  • Date de publication : 13/10/2022
  • Pagination : 396 pages
  • Prix : 22 euros
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