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samedi 27 juillet 2024
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Haut-Katanga. Lugo Farm : l’école aux champs

Créée en 2003, près de Lubumbashi, Lugo Farm est plus qu’une simple ferme agropastorale. Elle est aussi un centre de formation à plusieurs composantes et qui s’adresse à divers publics. Pour les étudiants, dont le nombre de stages pratiques va être augmenté dans le cadre de la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat), la formation porte sur l’acquisition de compétences techniques dans les filières agronomie et élevage et en management. Des formations sont aussi organisées pour des membres d’institutions impliquées dans le développement communautaire et l’autonomisation des femmes. L’accent est mis sur la recherche-innovation.

Makanisi : Quelle était la vocation de Lugo Farm à sa création ?

Marie Claire Yaya

Marie-Claire Yaya : Dès sa création, Lugo Farm devait avoir trois composantes : l’agriculture et l’élevage combinés à la transformation, avec un volet éco-tourisme car notre site est situé dans un environnement naturel sain, où l’on peut respirer de l’air frais, faire du vélo et manger de la nourriture bio. La troisième composante portait sur le renforcement des capacités, une option qui nous a toujours tenu à coeur. Ces trois composantes ont été mises en place progressivement.

Nous avons également mis en place des partenariats avec des universités pour organiser des stages d’étudiants à la ferme afin qu’ils améliorent leurs compétences sur le terrain. Par ailleurs, au fur et à mesure de l’évolution de nos activités,  on s’est rendu compte qu’il fallait conserver et transformer rapidement nos produits pour éviter les pertes. Pour exemple, les produits maraîchers doivent être vendus le jour même, sinon ils fanent et perdent une grande part de leur valeur marchande. De même les poules abattues doivent être conservées au froid immédiatement. Cela nous a amenés à acquérir une chambre froide comprenant deux zones : une de froid positif et l’autre de froid négatif.

Makanisi : Avez-vous bénéficié d’appuis extérieurs ?

M-C.Y. : Nous avons en effet bénéficié de l’appui de l’ONG belge, Ex-Change Expertise, qui met à la disposition de PME de pays en développement, des experts bénévoles, qui nous ont appris beaucoup de choses, notamment en ce qui concerne les métiers de la boucherie (2013 et 2020). En 2015, l’ONG PUM Netherlands senior experts nous a envoyé également un expert. Sur place, nous avons aussi bénéficié de l’accompagnement de l’Association pour la Promotion de l’Éducation et de la Formation à l’Étranger (APEFE), une structure de Wallonie-Bruxelles International qui encadre les agriculteurs dans le volet agricole.

Makanisi : Aujourd’hui, où en êtes-vous ? Avez-vous poursuivi, voire renforcé, le volet formation ?

Une des résidences de Lugo Farm

M-C.Y. : Après une période de ralentissement, liée à des circonstances indépendantes de notre volonté (crise économique, COVID 19, etc.), notre activité a repris avec d’importants changements. L’expérience acquise à travers l’encadrement d’étudiants des facultés de médecine vétérinaire et d’agronomie des universités du Grand Katanga nous a permis de bien maîtriser les formations pratiques et d’en affiner le contenu.  

L’expérience acquise à travers l’encadrement d’étudiants des facultés de médecine vétérinaire et d’agronomie des universités du Grand Katanga nous a permis de bien maîtriser les formations pratiques et d’en affiner le contenu.  

Après leur stage, de nombreux jeunes sont revenus vers nous pour acquérir davantage de formation professionnelle. D’où l’idée de créer un centre de formation pour les étudiants afin de renforcer leurs compétences techniques mais également entrepreneuriales afin qu’ils deviennent de futurs entrepreneurs dans leurs domaines d’activité. Le Centre de Développement en Agripreneuriat Lugo (CDA-Lugo) s’adresse également aux communautés de base qui souhaitent améliorer leurs techniques agricoles et les opérations zootechniques. Il est ouvert à tous ceux qui veulent acquérir du savoir-faire en agriculture et en élevage pour développer leurs fermes.

Outre la production, nous allons également faire de la recherche dans les domaines de l’agronomie et de l’élevage, en collaboration avec les universités.

Lire aussi : RDC. Haut-Katanga : devenir autosuffisant en maïs. https://www.makanisi.org/rdc-haut-katanga-devenir-autosuffisant-en-mais/

Makanisi : Avant la réforme LMD, quels étaient les stages obligatoires pour les étudiants et pour quelle durée ?

M-C.Y. : Dans l’ancien système GLDD (Graduat-Licence-Diplôme d’études supérieures-Doctorat), les étudiants devaient effectuer un stage d’un mois en entreprise durant le cycle de graduat (Bac + 3), puis, un autre stage d’un mois à l’issue de la licence (2è cycle, d’une durée de 2 ans). Cela pouvait différer d’une faculté à une autre. Ce système fonctionnait sur la base d’un nombre de points requis pour passer au niveau supérieur. Dans ce système, l’étudiant attendait tout du maître. Environ 90% de sa formation était consacrée aux enseignements théoriques.

Étudiants en stage à Lugo Farm

Makanisi : Pouvez-vous nous présenter brièvement le contenu du système LMD ? Quelles innovations ce système a-t-il introduit ?

M-C.Y. : Le système éducatif LMD (Licence-Master-Doctorat) comprend trois cycles : une licence en trois ans, un master en deux ans et un doctorat en trois ans. Dans ce système, l’étudiant est au centre de sa formation.  40% du temps de formation est consacré aux enseignements et 60% à des recherches (travaux pratiques, travail en bibliothèque et en laboratoire, etc.). Les parcours de formations sont découpés en unités d’enseignement. Chacune a une valeur définie en crédits. Pour obtenir le diplôme, l’étudiant doit avoir le nombre de crédits requis.  Le stage est obligatoire à partir de la 1ère année de licence et renouvelé chaque année, jusqu’à l’obtention du master. Il ne s’agit plus de former de simples théoriciens, mais des techniciens ou des ingénieurs ayant une base théorique et une expérience pratique solides.

Il ne s’agit plus de former de simples théoriciens, mais des techniciens ou des ingénieurs ayant une base théorique et une expérience pratique solides.

Makanisi : Comment s’insèrera votre formation dans ce contexte ?

M-C.Y. : La formation que notre centre propose vise à renforcer les acquis théoriques par la pratique sur le terrain. On pourrait la qualifier « d’école aux champs ». Durant leurs stages, les jeunes disposent d’un espace professionnel qui les encadre à la fois techniquement et sur le plan de la recherche-innovation. Nous les aidons également à développer des business plans qu’ils pourront soumettre aux bailleurs et à préparer des résumés argumentés pour présenter leur projet. Ainsi, notre formation inclut un volet technique et un volet entrepreneurial avec l’incubation, le mentorat et le coaching.

Notre approche pédagogique comprend aussi une batterie d’autres formations portant sur des métiers utiles au fonctionnement d’une entreprise ou connexes à l’agriculture et à l’élevage. On peut citer l’électricité, l’électromécanique, l’informatique, la comptabilité, etc. qui participent de la croissance des entreprises agropastorales et de la diversification de leurs activités. Signalons aussi la boucherie, la charcuterie et la transformation en général qui sont d’autres débouchés centrés sur la conservation et la valorisation des produits agro-pastoraux. Pour nous, ce sont d’autres pistes de collaboration aussi bien avec les universités qu’avec le secteur privé et public. C’est à ce niveau que la Recherche-Innovation trouve tout son sens dans notre centre.

Notre approche pédagogique comprend aussi une batterie d’autres formations portant sur des métiers utiles au fonctionnement d’une entreprise ou connexes à l’agriculture et à l’élevage.

Makanisi : Votre vision globale inclut-elle aussi l’économie circulaire ?

M-C.Y. : Absolument. Un entrepreneur doit savoir aussi recycler et valoriser les sous-produits provenant de ses activités. C’est pour cette raison qu’en plus des volets renforcement des capacités et production, la dimension « recherche et innovation » est indispensable. Si l’on veut que les jeunes trouvent de l’emploi, nous devons être créatifs et sortir des sentiers battus. Transformer, recycler, donner une valeur additionnelle sont autant de questions que l’on se pose.

En résumé, notre ambition est de faire en sorte qu’au sortir de leurs stages,  les jeunes soient en mesure de répondre aux attentes du monde professionnel, de créer leur propre entreprise. Ils pourront aussi sous-traiter certaines de leurs activités. C’est en fonction de cette approche inclusive que nous avons structuré le centre de formation.

Formation de maraîchères à l’agriculture durable à Lugo Farm

Makanisi : Cette approche nécessite-t-elle une redéfinition et un élargissement de vos partenariats  ?   

M-C.Y. : Pour mener à bien nos objectifs, nous aurons besoin, en effet, de nouvelles expertises. Nous ne sommes pas seuls sur le terrain. Nous allons travailler avec d’autres professeurs et de nouveaux experts et spécialistes. Nous sommes en réseau avec des partenaires de différents pays, comme le Burkina Faso, la Zambie, le Zimbabwe et le Canada, qui sont plus avancés que nous sur les créneaux que nous voulons développer.

Nous sommes par ailleurs très sensibles aux questions de développement durable et aux attentes des communautés. Nous réfléchissons aux moyens de promouvoir des chaînes de valeur tout en protégeant l’environnement et en réduisant la pauvreté. Nous nous interrogeons sur la manière d’exploiter notre richesse végétative pour nourrir les animaux. Nous travaillons avec les institutions impliquées dans le développement communautaire et l’autonomisation des femmes.

Nous réfléchissons aux moyens de promouvoir des chaînes de valeur tout en protégeant l’environnement et en réduisant la pauvreté.

Makanisi : Comment se matérialisent les contacts entre entreprises et universités ? 

M-C.Y. : Chaque université doit prendre des mesures adéquates pour mettre en œuvre la réforme de l’enseignement supérieur et universitaire. Pour ma part, en tant que centre d’incubation et de développement, je prendrai attache avec les universités pour étudier les modalités de collaboration.

Pour une bonne application de la réforme, les universités devront répertorier les entreprises et les structures privées et publiques (institutions, ONG, centres, etc.) susceptibles d’accueillir et d’encadrer les étudiants pour leurs stages et leurs recherches.

De leur côté, les grandes entreprises, les PME (toutes catégories confondues) et les centres de formation doivent se faire connaître et soutenir l’action du gouvernement et des universités. Nous avons tous à y gagner.

De leur côté, les grandes entreprises, les PME (toutes catégories confondues) et les centres de formation doivent se faire connaître et soutenir l’action du gouvernement et des universités. Nous avons tous à y gagner. Bien menée, cette réforme permettra aux jeunes diplômés de sortir de l’université avec des compétences reconnues. Cela réduira le chômage. Les plus compétents d’entre eux pourront être embauchés pendant ou après leurs stages sur des bases objectives.

Lire aussi : RDC. Haut-Katanga, la plus méridionale des provinces congolaises en bref. https://www.makanisi.org/rdc-haut-katanga-la-plus-meridionale-des-provinces-congolaises-en-bref/

Makanisi : Qui financera la formation en entreprise ?

M-C.Y. : Au niveau des instituts supérieurs et universitaires, les frais connexes qui facilitent les recherches sont payés par les étudiants. Mais je ne sais pas si ces instituts vont financer les stages des étudiants. Sur le terrain, il y a plusieurs cas de figures. Certaines entreprises rétribuent les stagiaires durant leur période de stage. D’autres non. Parfois, ce sont les stagiaires qui paient leur formation (cas des ateliers de soudure, de menuiserie, d’électricité, de mécanique, de couture, etc.). Dans notre centre situé en dehors de Lubumbashi, les stagiaires contribuent aux frais de restauration, d’hébergement et d’encadrement technique et entrepreneurial.

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