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samedi 27 juillet 2024
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La RDC s’apprête à transformer le gaz du lac Kivu en électricité

La société américaine Symbion Power a remporté l’appel d’offres lancé en juillet 2022 par le gouvernement congolais, pour l’exploitation du bloc gazier Makelele, situé dans le graben du lac Kivu, à la frontière entre la RDC et le Rwanda. L’entreprise produira de l’électricité à partir du gaz méthane que renferme le lac. La RDC compte ainsi augmenter la production d’électricité pour répondre aux besoins de la population et doper l’économie. Sans électricité en effet toute industrialisation ne serait qu’illusoire.

Lancé le 28 juillet 2022, en même temps que deux autres appels d’offre gaziers et 27 pétroliers, l’appel d’offres pour le bloc Makelele a reçu les candidatures de quatre sociétés : Wind Exploration and Production LLC, Comhydev, Ray Group Electromécanique et Symbiom Power. C’est ce dernier qui a remporté la mise. Les deux autres blocs gaziers ont été remportés respectivement par Alfajiri Energy Corporation (bloc Lwandjolu) et Winds Eploration and Production LLC (bloc Idjwi).

Un investissement de 300 millions de dollars

Paul Hinks, co-fondateur et directeur général de Symbion Power, a précisé que son entreprise exploiterait le bloc Makelele en partenariat avec Renewable Energy Developments, et que l’investissement de départ serait de 300 millions de dollars pour produire 60 MW d’électricité à partir du gaz. L’entreprise envisage également d’investir dans son propre réseau de transport privé pour acheminer l’électricité générée vers les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.

Paul Hinks, qui est aussi un ex-président de Corporate Council on Africa (organisation créée en 1993 pour promouvoir les relations d’affaires entre les États-Unis et les pays africains), assure que sa société s’appuie sur les communautés locales et crée les conditions de sécurité propices à la conduite de ses activités.

À (re)lire : La République démocratique du Congo en chiffres. Édition 2022. https://www.makanisi.org/la-republique-democratique-du-congo-en-chiffres-edition-2022/

Présente en Afrique

Établie à New York, Symbion Power, qui avait obtenu son tout premier contrat en Irak peu après sa création en 2005, opère notamment au Proche-Orient et en Afrique (Tanzanie, Madagascar, Kenya, Nigeria). Au Rwanda, Symbion Power avait deux projets de centrales alimentées par du gaz méthane du lac Kivu : le projet Kivu 56 (centrale de 56 MW), attribué en 2014 par l’Autorité de l’énergie, de l’eau et de l’assainissement du Rwanda, et le projet KP1, qui prévoyait de faire passer de 3,6 MW à 25 MW la puissance de la centrale KP1 acquise en 2016. En 2019, Symbion Power a vendu ses parts dans les deux projets à Highland Group Holdings Ltd (HGHL). Débuté par Symbion, le projet Kivu56 est mené depuis 2019 par Shema Power Lake Kivu, en partenariat avec Rwanda Energy group.

Des études ont établi que le lac Kivu, dont les réserves de gaz méthane seraient estimées à 60 milliards de mètres cubes, pourrait générer 700 MW sur une période de 50 ans.

66 milliards de mètres cubes de gaz méthane

Le lac Kivu, qui sépare le Rwanda de la RDC, est, par endroits, profond de 500 mètres et se singularise par une forte concentration de gaz. Des études ont établi que cette vaste étendue d’eau, dont les réserves de gaz méthane seraient estimées à 66 milliards de mètres cubes, pourrait générer 700 MW sur une période de 50 ans.  

Des projets d’exploitation conjointe de ce gaz par Kinshasa et Kigali, envisagés il y a quelques années, n’ont jamais vu le jour. D’ailleurs, la situation paraît de plus en plus compromise après la détérioration des relations entre les deux voisins, consécutive au regain d’activité, en mars 2022, dans l’est de la RDC, du M23, un mouvement rebelle soutenu par le Rwanda.

Un groupe tunisien en piste

Des entrepreneurs congolais, qui s’intéressent au secteur de l’énergie, ne sont pas en reste. C’est ainsi que Vanny Bishweka, un homme d’affaires bien connu dans la région, mise sur le lac Kivu, en partenariat avec le groupe tunisien Engineering, Procurement & Project Management (EPPM), qui se présente comme l’un des principaux acteurs de management de projets au Moyen-Orient et en Afrique. EPPM et son partenaire congolais ont mis en place Kivu Power. Le site de cette entreprise, appelée également à transformer le gaz du lac en électricité, se trouve à Kituku, à une dizaine de kilomètres de Goma, le chef-lieu du Nord-Kivu.

Sur son site Internet, EPPM affirme avoir mis en oeuvre plus de 150 projets et créé 12 filiales dans plusieurs pays

Sur son site Internet, EPPM assure avoir mis en œuvre plus de 150 projets et créé 12 filiales dans plusieurs pays. Le groupe indique, en outre, qu’une ligne de transmission enterrée de 220V transportera l’électricité générée par la centrale jusqu’au point d’injection à Mugunga, dans un périmètre de près de 6 km. EPPM souligne qu’un contrat d’achat d’électricité a été conclu avec la Société Nationale d’Électricité (SNEL) en 2021. Les tarifs auraient été par la suite officiellement approuvés par les autorités congolaises.

Kivu Power reste imperturbable

Vanny Bishweka, qui est également le propriétaire de la société Ihusi Gaz, laquelle vend du gaz importé de la Tanzanie voisine aux villes congolaises de Goma, Butembo et Bukavu, se veut serein. L’arrivée de Symbion Power dans le paysage gazier ne semble pas le perturber. « Il y a trois blocs gaziers. Cette société américaine n’entrave pas la mise en œuvre de notre projet en cours. Les choses sont au niveau administratif. Nous attendons la signature du Premier ministre pour commencer les travaux. Nous pensons qu’il signera en février », explique-t-il.

La RDC, qui veut s’industrialiser rapidement, est handicapée par son faible taux d’électrification : moins de 20 % de sa population a accès à l’électricité

Si Vanny Bishweko se montre optimiste, on peut toutefois constater que Kivu Power, qui a obtenu une concession gazière en 2018, fait face à des délais particulièrement longs pour des raisons inexpliquées. Rubens Mukindo Muhima, ancien ministre des Hydrocarbures, n’a rien fait pour activer les choses. Et jusqu’à son départ du gouvernement, en avril 2021, le projet faisait du sur-place.

De son côté, le député Juvénal Munubo du Nord-Kivu, reste prudent. « Je ne connais pas cette entreprise américaine. Je ne peux pas me prononcer sur elle. Il me semble toutefois que les choses sont allées assez vite. Je ne dis pas que la procédure comporte des irrégularités, mais j’observe que les députés n’ont pas été associés à ce projet. Ils avaient été associés au dossier concernant le groupe tunisien, mais cette fois-ci, pour des raisons que j’ignore, cela n’a pas été fait. Tout dépend du ministre. Peut-être que le ministre actuel des Hydrocarbures n’a pas vu la nécessité d’en parler à l’Assemblée nationale », déclare-t-il.

La RDC, qui veut s’industrialiser rapidement, est handicapée par son faible taux d’électrification : moins de 20 % de sa population – estimée à quelque 100 millions d’âmes – a accès à l’électricité. Le pays compte néanmoins atteindre plus de 30 % à l’horizon 2030, grâce à divers projets initiés ici et là.

À (re)lire : Après le Rwanda, la RDC veut exploiter le gaz méthane du lac Kivu. https://www.makanisi.org/apres-le-rwanda-la-rdc-veut-exploiter-le-gaz-methane-du-lac-kivu/

Les écologistes divisés

Des militants écologistes semblent partagés. Certains se montrent favorables à la mise en valeur du gaz méthane du lac Kivu ; d’autres, en revanche, sont dubitatifs et regrettent que les communautés locales n’aient pas été consultées en amont. Les « pro » mettent en avant le fait que cette exploitation permettra aux populations locales, qui ont recours au bois de chauffage au quotidien pour répondre à leurs besoins domestiques, de prendre conscience de la nécessité de préserver les forêts du Kivu en recul depuis quelques années. À leurs yeux, l’inaction comporterait plus de risques qu’une exploitation bien encadrée, car une forte concentration de gaz méthane pourrait se révéler dangereux s’il est laissé en l’état.

Le lac Nyos (1,58 km2), qui se trouve sur le flan d’un volcan éteint, n’est en rien comparable au lac Kivu, qui couvre une superficie de 2 700 km2.

Des études d’impact ont-elles été effectuées dans la transparence ? Des voix s’élèvent toutefois pour alerter sur les dangers associés à une exploitation gazière qui pourrait rompre des équilibres gaz-eau du lac Kivu. Les catastrophes naturelles causées par des concentrations de gaz ne sont pas un phénomène inconnu. La tragédie du lac Nyos, en 1986, dans le nord-ouest du Cameroun, est dans les esprits. Ce lac avait laissé échapper dans l’atmosphère une quantité excessive de dioxyde de carbone (CO2) et de nombreux habitants ont été privés d’oxygène et asphyxiés dans un rayon de 25 Km. 1700 personnes ont été tuées et 3000 autres déplacées.

Reste que le lac Nyos (1,58 km2), situé sur le flanc d’un volcan éteint, n’est en rien comparable au lac Kivu qui couvre une superficie de 2 700 km2. Une catastrophe analogue aurait des conséquences beaucoup plus graves, si elle avait lieu autour du lac Kivu qui contiendrait près de 300 milliards de mètres cubes de dioxyde de carbone. On estime à plus de deux millions le nombre de personnes qui vivent dans le périmètre proche de ce lac, aussi bien en RDC qu’au Rwanda.  

Kigali a un coup d’avance

Côté rwandais, le lac Kivu constitue déjà une source d’énergie pour certains foyers depuis la mise en service, en 2016, d’une centrale électrique à gaz méthane construite à Kibuye, dans l’ouest du pays, par Kivu Watt, une filiale du producteur d’énergie indépendant, l’américain ContourGlobal. Une plate-forme flottante installée sur le lac, à une douzaine de kilomètres de la rive, permet de pomper de l’eau à forte teneur en méthane et en dioxyde de carbone à plus de 300 mètres de profondeur. Le méthane ainsi extrait est expédié à la centrale où il est transformé en électricité. Ce projet a nécessité un investissement initial de 200 millions de dollars, réalisé dans le cadre d’un partenariat public-privé. La Banque africaine de développement (BAD) figure parmi les institutions qui ont financé le projet et facilité son exécution. La centrale Kivu 56 de Shema Power Lake Kivu devrait être opérationnelle en 2023. D’autres projets, dont celui lancé par GasMeth Energy et l’État rwandais, sont en cours de développement.

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