La Chine se trouve à tous les stades de la chaîne de valeur des minerais métallifères, depuis la mine (extraction) jusqu’au raffinage, en passant par la production minière. Une position acquise grâce à une stratégie minière bien mûrie. Dans sa volonté d’accélérer son développement et d’être la première puissance économique mondiale, l’Empire du Milieu a, en effet, mis en place tout un dispositif pour accéder aux ressources minières, essentielles pour son industrie et la transition énergétique, ressources qu’il n’a pas ou qu’il a en faible quantité sur son territoire, assurer leur transformation et la fabrication des produits finis en Chine. Une manière également de rendre dépendantes de la Chine, des puissances, notamment occidentales, en matière de ressources minières et de produits raffinés.
La richesse géologique de la Chine est incontestable. Quelque 60 métaux sont disponibles dans son sous-sol, avec des réserves importantes de vanadium (environ 50 % des réserves mondiales), de molybdène (50%), de terres rares (37%), d’antimoine (1/3), etc. Toutefois, ses réserves de cuivre, de bauxite, de cobalt, de nickel, de chrome ou de germanium sont plus limitées, voire très limitées pour la bauxite, dont elle ne compte que 3% des réserves mondiales.
Place importante dans la production minière
La Chine est un grand producteur de métaux primaires et compte une industrie minière très performante.
Bien qu’elle ne dispose pas de toutes les ressources, notamment en minerais métallifères, ce qui limite l’exploitation sur son territoire, la Chine occupe néanmoins une place importante dans la production minière. Elle est un grand producteur de métaux primaires et compte une industrie minière très performante. Elle assure environ 70% de la production mondiale des terres rares, près de 60% de celles du germanium, de l’antimoine et du vanadium. Elle est également en bonne position pour le molybdène et la bauxite (22%), ainsi qu’en situation honorable pour le manganèse, le lithium et le cuivre (8,5%). En revanche, la production chinoise de cobalt et de nickel est encore faible.
La championne du raffinage
C’est toutefois en matière de raffinage que la Chine est particulièrement forte, plus encore que sur les autres segments de la chaîne de valeur des métaux. Elle tient largement le haut du pavé sur le segment du raffinage d’un grand nombre de métaux : terres rares (90% du raffinage mondial), germanium (90%), cobalt, antimoine (70%), lithium, manganèse, vanadium, bauxite, chrome, cuivre, molybdène et nickel. Cette position dominante n’est pas le fait du hasard, mais le résultat d’une stratégie minière longuement mûrie.
C’est toutefois en matière de raffinage que la Chine est particulièrement forte, plus encore que sur les autres segments de la chaîne de valeur des métaux.
Une stratégie minière mûrie
En effet, « Bien que dépendante de l’extérieur pour son approvisionnement en minerais, ce qui traduit une certaine vulnérabilité, la Chine a pu compenser ses faiblesses sur les réserves et la production, en renforçant son influence à l’international et en construisant une position forte sur le raffinage, qui en fait le principal exportateur au monde de produits raffinés », signalait Pierre Laboué, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste des questions énergétiques et coordinateur de l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques, lors de la visio-conférence organisée, le 21 septembre 2022, à Paris, par l’IRIS.
C’est par le jeu des investissements et sur la base d’une stratégie diversifiée dans laquelle ses compagnies jouent un rôle important, que la Chine opère. Elle se positionne sur les minerais à l’état brut pour ensuite les raffiner chez elle et les exporter sous forme de produits finis. Cela lui permet de renforcer l’amont de la chaîne de valeur d’une filière. C’est aussi un gage de sécurité pour les industries qui sont en aval sur le territoire chinois.
La Chine a pu compenser ses faiblesses sur les réserves et la production, en renforçant son influence à l’international et en construisant une position forte sur le raffinage, qui en fait le principal exportateur au monde de produits raffinés.
Stratégie d’internationalisation
« La stratégie minière chinoise repose sur deux axes, » soulignait Simon Menet, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique, qui a présenté la politique minière chinoise lors d’une conférence qui s’est tenue, à Paris, à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), le 26 septembre 2023. L’un vise à diversifier et à sécuriser les sources d’approvisionnement en minerais, notamment métallifères, qui sont indispensables à la transition énergétique et aux besoins de développement de l’Empire du Milieu. D’où l’accent mis sur l’internationalisation des entreprises minières chinoises. Pour inciter ces dernières, qu’elles soient privées ou publiques, à investir à l’étranger, afin d’exploiter les matières premières recherchées, tout un arsenal de mesures favorables à leur implantation a été progressivement mis en place.
Promotion de champions nationaux
L’autre axe a pour objectifs de rationaliser l’industrie minière, avec la création de méga-conglomérats qui doivent rivaliser, voire dépasser les grandes multinationales, notamment occidentales. « L’attention accrue portée à la prospection, à l’exploration et au développement de sites miniers a amené la Chine à engager un ajustement stratégique de sa structure industrielle, qui s’est traduit par la promotion de champions nationaux et la création de méga-conglomérats miniers », explique Menet.
L’ajustement stratégique de la structure industrielle chinoise s’est traduit par la promotion de champions nationaux et la création de méga-conglomérats miniers
Parmi ses méga-conglomérats miniers, on peut citer le China Mineral Resources Group (CMRG), créé en juillet 2022 pour renforcer ses approvisionnements en minerai de fer, le China Baowu Steel Group (Baowu),premier producteur d’acier au monde, le China Rare Earth Group, une entreprise publique spécialisée dans les terres rares, ou encore Tsingshan Holding Group, un conglomérat d’entreprises sidérurgiques basé à Shanghai..
Coopération et sous-traitance entre entreprises chinoises
Dans la foulée, les entreprises chinoises, quel que soit leur secteur d’activité, sont encouragées à coopérer entre elles, voire avec des entreprises étrangères. Les entreprises de BTP sont particulièrement sollicitées pour la construction des mines et de toutes infrastructures nécessaires à l’activité minière, au transport et à l’évacuation des produits ainsi qu’à la fourniture d’énergie (construction ou réhabilitation de centrales hydroélectriques).
Les entreprises chinoises, quel que soit leur secteur d’activité, sont encouragées à coopérer entre elles.
C’est ainsi que le chinois Bestway Finance, en partenariat avec son partenaire AustSino, projette de réaliser des infrastructures liées à ses projets de fer au Cameroun (Mbalam) et au Congo (Nabeba, Avima et Badondo), où il a des filiales. Il s’agit de la construction d’un chemin de fer de 600 km reliant l’extrême nord-ouest du Congo à Kribi au Cameroun, et du terminal minéralier du port en eau profonde de Kribi.
Des sociétés de sécurité privées chinoises assurent également la sécurité de chantiers, d’usines et de toutes autres opérations minières réalisées par des entreprises chinoises à l’étranger.
Soutenir ses intérêts dans la mondialisation
« L’ensemble de la politique minière chinoise s’est développée dans le cadre des deux stratégies, qui apportent des réponses multiformes aux besoins d’internationalisation du pays », note Menet. L’une d’entre elles est la Go Out Policy, ou stratégie de mondialisation, qui a été élaborée à la fin des années 1990. Annoncée dès septembre 2013 par le président Xi Jinping, la Belt and Road initiative vise, pour sa part, à développer des corridors terrestres et maritimes pour faciliter les approvisionnements en matières premières de la Chine et évacuer ses produits finis.
L’internationalisation des entreprises et la sécurisation des approvisionnements miniers doivent permettre à la Chine de soutenir ses intérêts nationaux dans la mondialisation, d’accroître l’efficacité de sa production minière
L’internationalisation des entreprises et la sécurisation des approvisionnements miniers, une obsession du président Xi Jinping, doivent permettre à la Chine de soutenir ses intérêts nationaux dans la mondialisation, d’accroître l’efficacité de sa production minière, de mieux coordonner les actions en matière d’investissements à l’étranger et « de renforcer son emprise sur les prix des matières premières », insiste Menet. Pour certains experts, elle peut également être vue comme une tentative de la Chine d’exporter son modèle de développement, notamment dans les pays en développement, en insistant sur l’importance des infrastructures et la croissance économique comme levier de développement.
Évolution des IDE chinois dans le secteur des métaux
Entre 2005 et 2021, quelque 200 milliards de dollars ont été investis par la Chine dans le secteur des métaux. Avec toutefois des évolutions différenciées. « Entre 2005 et 2013, l’Australie représentait 33% des investissements directs étrangers (IDE) chinois, dans le secteur des métaux, suivie de la RD Congo (6%), de la Russie (5%) et du Pérou, ainsi que du Brésil et de l’Iran (4% chacun). L’Indonésie ne comptait alors que pour 4% », indiquaient Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions relatives aux matériaux de la transition énergétique, et David Amsellem, cofondateur du cabinet de conseil Cassini Conseil et docteur en géopolitique, lors de la visio-conférence organisée par l’IRIS. Entre 2014 et 2021, on assiste à un renversement de la situation : l’Indonésie arrive en tête avec environ 13,8% des IDE chinois dans le secteur. Suivent le Pérou (12%) et la RDC (8%) et d’autres pays.
Parce qu’elle abrite environ 30 % des ressources minières mondiales, dont le platine, le cuivre, le cobalt, l’or (50%) et l’uranium (50%), l’Afrique attire une partie des IDE chinois.
La Chine en Afrique
Parce qu’elle abrite environ 30 % des ressources minières mondiales, dont le platine, le cuivre, le cobalt, l’or (50%) et l’uranium (50%), l’Afrique attire une partie des IDE chinois. L’investissement chinois s’est accéléré entre 2005-2015, pour ralentir un peu ensuite, pour des raisons sécuritaires. Néanmoins, depuis 2015, la présence chinoise en Afrique s’est renforcée dans certaines filières : le cuivre, le cobalt, le zinc, le fer, le manganèse, le chrome et l’uranium.
Les mines représentent environ 11% du portefeuille d’investissement global chinois en Afrique et la construction environ 15 %, selon Emmanuel Hache.
L’expansion chinoise dans le secteur minier africain a été permise par l’approche intégrée de captation des ressources minières. Pékin accompagne les grands conglomérats miniers d’État, via des actions de lobbying, des appuis financiers, une diplomatie minière active et, souvent, des accords-cadres bilatéraux signés avec le pays ciblé, dont les clauses ne sont pas toujours connues. À ceci « s’ajoutent l’adhésion du pays africain aux routes de la soie, le noyautage d’élites locales et la coopération sécuritaire », avertit Menet.
Pékin accompagne les grands conglomérats miniers d’État, via des actions de lobbying, des appuis financiers, une diplomatie minière active et des accords-cadres bilatéraux signés avec le pays ciblé, dont les clauses ne sont pas toujours connues.
Le cuivre, un exemple de la politique chinoise
Le cuivre, qui est un des métaux de base des économies et joue un rôle central dans l’électrification, illustre bien la stratégie minière de la Chine. L’Empire du Milieu ne représentait que 3% des réserves mondiales de cuivre, ce qui la positionnait au 9è rang mondial en 2021. Pourtant elle était le 4ème producteur mondial de minerai de cuivre (8,5% de la production mondiale) et occupait le premier rang en matière de raffinage, pour avoir raffiné 40 % de tout le minerai de cuivre du monde, également en 2021.
Trois pays – le Chili, le Pérou et la RDC – figurent parmi ses fournisseurs les plus importants en cuivre. Ils ont permis à la Chine d’acquérir des mines de cuivre et de sécuriser ses réserves de cuivre extraterritoriales.
Lire aussi : La difficile marche mondiale vers la décarbonation https://www.makanisi.org/la-difficile-marche-mondiale-vers-la-decarbonation/
Trois pays – le Chili, le Pérou et la RDC – figurent parmi ses fournisseurs les plus importants en cuivre. Ils ont permis à la Chine d’acquérir des mines de cuivre et de sécuriser ses réserves de cuivre extraterritoriales.
La RDC est riche en cuivre. Elle est le premier producteur africain de cuivre métal et le 3ème producteur mondial derrière le Pérou, avec 2,360 millions de tonnes en 2022. S’ils ne sont pas les seuls dans la filière cuivre-cobalt-zinc, les majors chinois y occupent néanmoins une place importante, via des filiales locales. On peut citer China Molybdenum, China non ferrous mining Corp ltd, Zijin mining Group, Jinchuan group, China Railways, Hyatou Cobalt, China MinMetals ou Wanbao Mining.
Lire aussi : RDC. Filières cuivre, cobalt et zinc : situation en 2022 et perspectives. https://www.makanisi.org/rdc-filieres-cuivre-cobalt-et-zinc-situation-en-2022-et-perspectives/
Les métaux incontournables pour la Chine
« La Chine n’a pas l’habitude de publier des listes de matériaux critiques », notait Emmanuel Hache, lors de la visio-conférence de l’IRIS. Mais, en 2016, une publication a permis d’envisager des 3 types de métaux incontournables, selon Hache : les métaux incontournables, essentiels pour l’industrie chinoise (fer, cuivre, aluminium, chrome, nickel), les ressources stratégiques pour les industries émergentes (antimoine, lithium, molybdène, zirconium), qui sont nécessaires à la réalisation du plan 2025 et contribuent à la politique carbone et écologique. La troisième catégorie comprend les métaux dits avantageux, dont la Chine peut tirer une capacité de nuisance sur les chaînes de valeur à l’international (étain, antimoine, terres rares, tungstène), avec une dimension offensive dans la géopolitique minérale, car ces métaux sont considérés comme critiques par les États-Unis ou l’Europe. Sur ce plan, la Chine pourrait donc ainsi avoir une position avantageuse dans les années à venir.
De la captation à la prédation
Selon Simon Menet, il convient de faire la différence entre les grands conglomérats miniers chinois qui ont un bilan globalement positif en matière de RSE et de politique environnementale, et les autres acteurs chinois, notamment les artisans et les petites entreprises au sein desquels des pratiques illicites se manifestent. Le cas le plus emblématique est l’orpaillage illégal qui s’est fortement développé dans une quinzaine de pays africains, sous la houlette de petits producteurs chinois. « C’est la pression des normes énergétiques et environnementales chinoises qui a poussé ces orpailleurs chinois à aller s’installer en Afrique », insiste Menet.
Il convient de faire la différence entre les grands conglomérats miniers chinois qui ont un bilan globalement positif en matière de RSE et de politique environnementale, et les autres acteurs chinois (artisans et petites entreprises) au sein desquels des pratiques illicites se manifestent.
Le gang du comté de Zhanglin
Le plus connu des pays africains concernés par cette pratique, d’après Menet, est le Ghana où les premiers orpailleurs chinois sont arrivés dans les années 1990-2000. La plupart d’entre eux sont venus du comté de Zhanglin, un district administratif de la région autonome Zhuang du Guangxi, spécialisé dans l’orpaillage.
Surnommé « gang du comté de Zhanglin », ces orpailleurs se sont progressivement installés au Sénégal, au Mali et en Guinée. « Ils ont créé une sorte d’alliance avec des propriétaires fonciers locaux sur lesquels ils s’appuient pour obtenir des licences minières. Ils bénéficient également du soutien des autorités chinoises locales qui facilitent l’importation d’équipements et les appuient sur le plan consulaire », rapporte Menet.
Surnommé « gang du comté de Zhanglin », ces orpailleurs se sont progressivement installés au Sénégal, au Mali et en Guinée.
En outre, le gang du comté de Zhanglin, devenu un hub en matière d’orpaillage illégal, a constitué un réseau humain, logistique et financier très important, avec des banques chinoises qui captent les flux financiers des orpailleurs. Le phénomène s’est étendu à la filière bois qui fait transiter de l’or. Les actions de ce gang n’ont pas manqué d’alarmer le pouvoir central en Chine.
Signalées dans une enquête réalisée par les chercheurs Justin Mwetaminwa et Thierry Vircoulon, publiée par l’Institut Français des Relations Internationales et intitulée « Un scandale sino-congolais : l’exploitation illégale des minerais et des forêts par les entreprises chinoises au Sud-Kivu », des pratiques illégales similaires se sont développées dans l’est de la RDC, dans la filière or.