Il fait du photojournalisme et vend ses images à des magazines, comme Jeune Afrique, Terra Africa ou Vox Éco hier, à des agences de presse comme Associated Press et à bien d’autres clients. Il est consultant pour l’Unicef qui lui commande des photos pour illustrer ses rapports et autres publications. Il collabore aussi avec des organisations du système des Nations-Unies et des organismes publics… Il faut bien gagner sa vie ! Mais ce que Lebon Chansard Ziavoula, dit Zed Lebon, aime avant tout, c’est la photo d’art. Mieux, la photo « mémoire » ou « archives ».
Coup de projecteur sur le parcours de Zed Lebon, le « photographe de la mémoire ».
Né en 1988, à Kellé, dans le département de la Cuvette-Ouest, Zed ne se prédestinait pas à la photographie, lorsqu’il termine ses études supérieures à l’université Marien Ngouabi, où il a obtenu un diplôme de documentaliste-archiviste, après ses études secondaires à Brazzaville. Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir baigné dans l’univers du 7è art. Très tôt, son oncle paternel, initié à la photo par son frère aîné, le père de Zed, lui a appris les bases du métier.
« Je faisais des photos en amateur. C’était un passe-temps »
Un passe-temps
Dès le lycée, l’appareil en bandoulière, Zed Lebon faisait des photos, ici et là, pour gagner quelques francs FCA. « Je faisais des photos en amateur. C’était un passe-temps », confie-t-il. Mais il n’était pas question pour lui d’en faire un métier. « Mon oncle faisait de la photo commerciale. C’était difficile. Il fallait courir derrière des clients, leur livrer les photos. Je me disais que si le métier de photographe, c’était cela, je préférais poursuivre mes études. En outre, le modèle de réussite de l’époque était d’étudier et de devenir fonctionnaire. On ne pouvait pas imaginer un intellectuel faire ce métier. Pour mon père enseignant, faire de la photo était du gâchis », ajoute-t-il.
C’était la première fois que j’entendais parler du métier de photographe de cette manière-là. J’ai compris alors ce qui différenciait la photo d’art de la photo commerciale
Déclic avec Lumière Moussala
Le déclic ne viendra pas de sa famille, mais d’une rencontre, en 2006, avec un grand photographe professionnel, Steven Lumière Moussala, actuel conseiller du Premier ministre congolais et chef du Département coopération et des congolais de l’étranger à la Primature. Photographe-artiste, auteur de « Une histoire de la photographie au Congo-Brazzaville », cet ancien chargé de mission audiovisuel et culture d’Afrique centrale à l’ambassade de France à Kinshasa, a inscrit son nom dans le champ culturel et photographique africain.
La rencontre avec Steven Lumière marquera un tournant dans la vie de Zed.
La rencontre avec Steven Lumière marquera un tournant dans la vie de Zed. « J’ai rencontré Lumière Moussala par le biais d’un « grand » du quartier. Lorsque, ensemble, nous sommes allés chez lui, nous n’avons parlé que de photo, mais de photo d’art, de presse et d’expositions. C’était la première fois que j’entendais parler du métier de photographe de cette manière-là. Cela n’avait rien à avoir avec ce que faisait mon oncle. J’ai compris alors ce qui différenciait la photo d’art de la photo commerciale », signale-t-il.
Lire aussi : Congo. Baudouin Mouanda, 1er photographe africain lauréat du prix international Roger Pic. https://www.makanisi.org/congo-baudouin-mouanda-1er-photographe-africain-laureat-du-prix-international-roger-pic/
Littéralement « retourné » par ce qu’il vient d’apprendre, il décide alors de se lancer dans la photo en tant que professionnel. À sa demande, son oncle lui offre son premier Canon argentique. Zed Lebon passera un an aux côtés de Moussala. L’occasion, et la seule possibilité, pour lui, de parfaire ses connaissances photographiques et de devenir professionnel. Il n’existait pas, en effet, d’école de formation de photographes au Congo.
Le départ pour l’étranger de Moussala, qui représentera, entre autres, le Congo lors des Jeux de la Francophonie à Beyrouth en 2009, laissera Zed « orphelin ». Mais, très vite, il va rebondir.
Avec Baudouin Mouanda
En 2007, il tombe sur une affiche, au Centre Culturel Français (CCF), devenu Institut français du Congo (IFC), mentionnant la restitution de Baudouin Mouanda qui avait bénéficié d’une bourse pour effectuer un stage au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) et à l’Agence France-Presse (AFP), en France, pendant lequel il avait suivi le deuxième tour de l’élection présidentielle opposant Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. « Une nouvelle fois, j’ai été étonné de constater qu’un jeune congolais était allé en France juste pour des photos. Je me suis demandé quel genre de photos avait-il pu faire pour être invité à ce stage », dit-il en riant. Abordant Mouanda dans le hall du CCF, il lui explique qu’il veut faire carrière dans la photographie et lui parle de son mentor Lumière Moussala.
Lire aussi : Congo. Valoriser le 7ème art pour renforcer le patrimoine photographique. https://www.makanisi.org/congo-valoriser-le-7eme-art-pour-renforcer-le-patrimoine-photographique/
« Je n’avais pas d’image de ma mère. C’est à ce moment-là que j’ai compris ce que peut être la force et l’importance de la photographie ».
Sur les traces de sa mère

En 2009, une autre rencontre va bouleverser une deuxième fois sa vie. Et décider d’une nouvelle orientation de son métier. « Je n’ai quasiment pas connu ma mère. J’ai été séparé d’elle alors que j’avais 2 ans. Elle est décédée quelques années plus tard. Or la famille paternelle, pour diverses raisons, avait pratiquement effacé toute trace d’elle. Je n’avais donc pas d’image de ma mère. C’est à ce moment-là que j’ai compris ce que pouvait être la force de la photographie ».
Quand Zed fait la connaissance d’une partie de sa famille maternelle, il découvre, en effet, une seule photo de sa mère, prise 24 heures avant son décès, qu’avait conservée son frère, l’oncle de Zed. Mais une photo ratée sur tous les plans, qui ne permettait pas à Zed de bien identifier celle qui l’avait mis au monde. « La rage m’a alors envahi », s’exclame-t-il.
Cet événement dramatique, qu’il ressent comme une profonde blessure, va amener Zed à s’orienter vers la photo « archives », le seul moyen de conserver des traces.
La photo archives
Cet événement dramatique, qu’il ressent comme une profonde blessure, va amener Zed à s’orienter vers la photo « archives », le seul moyen de conserver des traces. « Il est impératif de s’intéresser aux archives. C’est d’ailleurs ma formation, puisque j’ai étudié la documentation et l’archivage. Il y a un problème de culture de l’archivage au Congo où l’on ne place pas de gens formés et qualifiés dans les services d’archivage », tambourine-t-il.
Zed commencera ainsi à collecter des photos de famille, avant de se tourner vers le patrimoine architectural. En tant que photographe auteur, il choisit des angles de vue particuliers pour traiter une thématique. Ses thèmes de prédilection actuels ? « Au-delà des faits sociaux que je traduis en images, je travaille actuellement sur la mémoire de ma mère. N’ayant pas pu l’enterrer, je suis dans une démarche de quête identitaire et sensible aux questions liées à la mort. Dans mes travaux, la mort revient souvent. J’ai fait d’ailleurs un travail sur présence/absence. Ma mère est décédée, mais elle vit en moi », confie-t-il, ému. Ce travail le conduit, par ailleurs, dans les cimetières. « Je suis sur un projet de photos de pierres tombales anciennes », précise-t-il.
C’est à Zed qu’ont fait appel les initiateurs de l’exposition « Archi-coloniale et monuments historiques »
Archi-coloniale et monuments historiques

Son travail photographique de mémoire s’applique aussi à l’architecture et aux monuments historiques. Une approche qui lui vaut d’être reconnu et recherché. C’est à Zed, en effet, qu’ont fait appel les initiateurs de l’exposition « Archi-coloniale et monuments historiques ». Organisée, à l’occasion du 143ème anniversaire de Brazzaville, par l’IFC et l’ambassade de France en République du Congo, l’exposition se tient du 11 au 28 octobre 2023, dans les locaux de l’Institut.
Toutes les photos exposées sont de Zed Lebon, qui a parcouru tout le Congo, notamment la capitale congolaise où il a photographié plusieurs monuments datant de l’époque coloniale (1880-1960).
Un succès. « Cette exposition est appréciée par beaucoup de personnes, aussi bien des politiques que des administratifs. J’ai des retours très positifs ».
Parmi tous ces bâtiments qui témoignent de l’histoire coloniale, quel fut son coup de cœur ? « La basilique Sainte Anne ». L’édifice qui l’a le plus touché ? « Le Centre de formation et de recherche en art dramatique ».
Version ancienne vs version actuelle
L’originalité du travail qu’il a présenté à l’IFC vient du fait que Zed a réalisé un montage photos, avec l’appui d’un ami infographe. Sont ainsi présentés, sur un même panneau photographique, le bâtiment tel qu’il se présentait autrefois et sa version actuelle, qu’il a lui-même photographiée. Pour retrouver la photo de l’édifice original, « j’ai fait des recherches documentaires, avec l’appui de mon ami infographe, je suis allé sur des sites internet et j’ai consulté des ouvrages ». explique Zed.

Parmi tous ces bâtiments qui témoignent de l’histoire coloniale, quel fut son coup de cœur ? « La basilique Sainte Anne ! ». L’édifice qui l’a le plus touché ? « Le Centre de formation et de recherche en art dramatique (CFRAD). C’est un lieu mythique, car c’est ici que le général de Gaulle a prononcé son discours, le 30 janvier 1944 ». Ancien cercle civil, témoin de l’histoire de Brazzaville, ce site a, en effet, accueilli du 30 janvier au 8 février 1944, la Conférence de Brazzaville, consacrée à l’avenir des colonies africaines de la France. Le lieu avait été choisi en hommage à la fidélité de l’Afrique Équatoriale Française et de sa capitale Brazzaville à la France Libre. Actuellement en très mauvais état, l’édifice doit être réhabilité, sur un financement français. Une décision du président Emmanuel Macron.
Il met également toute son énergie à transmettre les ficelles du 7ème art à de jeunes photographes.
Kakutan’art
Quand il n’est pas en reportage ou en train de préparer une exposition, Zed participe à des concours. En 2017, il a participé aux Jeux de la Francophonie, qui ont eu lieu à Abidjan (Côte d’Ivoire), dont le thème était la justice, la diversité et la responsabilité. Son travail sur le thème de présence/absence lui a valu d’être lauréat.
Il met également toute son énergie à transmettre les ficelles du 7ème art à de jeunes photographes. « Un de mes élèves, Ralff Lhyliann Therance, a obtenu la médaille d’argent, catégorie photographie, lors des 9ème Jeux de la Francophonie qui se sont tenus à Kinshasa, en 2023 ». En 2021, il a mis en place, en partenariat avec l’IFC, le festival Kokutan’art (se rencontrer en lingala), des rencontres internationales de la photographie d’auteur qui ont lieu à Brazzaville.
Le concept Flash Brazza consiste à organiser une sortie photos dans un quartier. On y fait des photos, puis on monte une exposition, dans ce même quartier, destinée aux riverains
Flash Brazza
Inventif et entreprenant, il a créé d’autres concepts comme Café photos, « une réunion informelle, dans un bar, pendant laquelle on discute photo, sans protocole, entre amateurs et professionnels ». Ou encore Flash Brazza, « un concept, parti d’Abidjan, qui prend le nom de la ville où il s’implante. Après Flash Abidjan, il y a eu Flash Kigali, puis Flash Brazza. « Ce concept consiste à organiser une sortie photos dans un quartier. On y fait des photos, puis on monte une exposition, dans ce même quartier, destinée aux riverains. Tout le monde, amateurs et professionnels, y participe, moyennant une participation de 10 000 FCFA », souligne Zed.
Parmi les autres initiatives lancées par Zed, on peut citer un concours photo, en partenariat avec France Volontaires. En projet, « la création d’un espace culturel, consacré à la formation photos, qui comprendra un studio professionnel en photo et un autre en montage vidéo, une bibliothèque spécialisée dans la photo et le cinéma, une salle de formation, des logements pour recevoir des gens en résidence, une cafeteria, etc. Nous n’avons pas de financement. On commence seuls et si des partenaires adhèrent à notre projet, ce sera un plus ».