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mardi 19 mars 2024
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CAEB. La RDC affiche ses ambitions sur les batteries électriques

Rattaché à la faculté de Polytechnique de l’Université de Lubumbashi, le Centre africain d’excellence pour les batteries (CAEB) a été lancé en avril 2022. Ce centre de recherche et de formation, à vocation africaine, s’inscrit dans un vaste projet qui inclut la création d’un Conseil des batteries de la RDC, chargé de mettre en œuvre les orientations du gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) en matière de batteries et de transition énergétique, et l’implantation d’une ZES dans le Haut-Katanga, où seront fabriqués des précurseurs de batteries et des batteries pour véhicules électriques.

Jean-Marie Kanda, doyen de la Faculté Polytechnique de l’Université de Lubumbashi (Unilu) et directeur général du CAEB, répond aux questions de Makanisi sur ce projet d’envergure.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu

Makanisi : Quelle est la vocation du CAEB lancé le 22 avril dernier ? Qui le financera ?

Jean-Marie Kanda : Le CAEB est avant tout un cadre de recherche, d’innovation et de formation. Sa vocation est industrielle et technologique. Il sert d’ancrage au développement d’une industrie africaine de fabrication de précurseurs de batteries électriques et de leur assemblage en produits marchands pour les utilisateurs finaux.

Le CAEB sert d’ancrage au développement d’une industrie africaine de fabrication de précurseurs de batteries électriques et de leur assemblage en produits marchands pour les utilisateurs finaux

Notre feuille de route comprend plusieurs axes dont la préparation et l’adoption du plan quinquennal pour l’établissement du centre d’excellence de référence en conception et fabrication de composants et batteries électriques ainsi que l’établissement du tableau de bord des opérations à l’horizon 2027. Elle prévoit également le développement d’un pool de chercheurs et de technologistes avec l’organisation de cours accélérés et d’un master professionnel, l’acquisition d’équipements et d’infrastructures de recherche-développement de nouveaux procédés de fabrication de produits relatifs aux batteries, ainsi que l’instauration de normes et de standards d’application des batteries électriques en RDC, voire dans toute l’Afrique. Le gouvernement congolais finance le CAEB, mais nous comptons aussi sur les subventions de recherche, nationales ou internationales, après soumission des projets de recherche.

Jean-Marie Kanda, doyen de la faculté polytechnique de l’Unilu et DG du CAEB

Avez-vous déjà identifié les formations que le centre sera amené à mettre en place pour répondre aux exigences de la future industrie ?

Oui. Les formations comprennent un brevet professionnel en énergies renouvelables et stockage d’énergies pour des élèves ayant terminé le cycle primaire ; un certificat professionnel avec différentes options (électricité, électronique,  chimie, mécanique, sciences de matériaux…), ainsi qu’un master professionnel et un doctorat en énergies renouvelables et stockage d’énergie. Les curricula sont déjà montés et le processus de validation est en cours.

Les curricula sont déjà montés et le processus de validation est en cours.

Les opérations du CAEB seront hébergées dans des hubs spécifiques. Je citerai le laboratoire de recherche en batteries et gestion des systèmes de batteries chargé de développer les nouveaux concepts, auquel seront adjoints l’atelier de production des prototypes de nouveaux produits et la cellule légale de protection des inventions et propriétés intellectuelles. Je mentionnerai aussi le bureau de contrôle, sûreté et standardisation des batteries ainsi que le bureau d’évaluation et d’optimisation des chaînes de valeur des matières. La localisation de ces centres tiendra compte des impératifs de développement édictés par les gouvernements des pays contributeurs.

Il est question de centre africain. Quels pays seront associés à cette recherche ?

Notre pays, la RDC, et la Zambie ont déjà signé un accord de collaboration. Des chercheurs namibiens, sud-africains et camerounais ont rejoint le CAEB. La RDC va poursuivre son élan d’association avec d’autres pays africains. Le ministre de l’industrie, Julien Paluku, a fait cet appel lors de la SADC industrialisation week, organisée à Kinshasa en août dernier. Pour la RDC, la vocation du CAEB demeure africaine. Nous bénéficions de l’appui du Bureau sous-régional pourl’Afrique centralede la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique.

Notre pays, la RDC, et la Zambie ont déjà signé un accord de collaboration. Des chercheurs namibiens, sud-africains et camerounais ont rejoint le CAEB.

Y-aura-t-il des spécialisations en fonction des matières premières dont dispose chaque pays ?

Bien sûr. Les batteries électriques sont des dispositifs complexes aussi bien dans leur composition que dans les processus de conversion d’énergie chimique en énergie électrique et vice-versa. La RDC compte des ressources minérales (cuivre, cobalt, zinc, lithium, nickel, manganèse) suffisantes pour développer des batteries fonctionnelles. D’autres pays africains ont également les ressources nécessaires à la constitution de certains composants des batteries (collecteurs d’électrons, cathodes, anodes, électrolyses). Je citerai la Zambie (cuivre), Madagascar (manganèse, nickel), le Gabon (manganèse), l’Afrique du Sud (graphite et nickel), le Zimbabwe (lithium), la Namibie (zinc) et le Cameroun (aluminium),

Par ailleurs, l’Afrique du Sud et la Namibie ont des centres de recherche bien équipés. Tel est le cas du South Africa’s Council for Scientific and Industrial Research (CSIR) à Pretoria. Le CAEB entend réaliser des économies d’échelle en collaborant avec ces pays. De plus, cette collaboration permettra de préparer l’entrée de nouvelles batteries électriques sur les marchés locaux.

Associerez-vous des entreprises opérant en RDC, dont les maisons-mères de certaines d’entre elles ont des laboratoires de recherche ?

Certainement. Les entreprises opérant en RDC sont les clients et les collaborateurs privilégiés du CAEB. Les licences d’exploitation des inventions et procédés des batteries électriques qui seront développées au CAEB seront exclusivement octroyées aux entreprises ayant des sites de production en RDC. Nous serons ouverts à toute forme de collaboration avec le secteur privé pour atteindre nos objectifs.

Les licences d’exploitation des inventions et procédés des batteries électriques qui seront développées au CAEB seront exclusivement octroyées aux entreprises ayant des sites de production en RDC.

Quand pensez-vous démarrer les premières activités du CAEB ?

Nous avons choisi de faire un suivi rapide des différents axes d’activités du CAEB. C’est la meilleure manière d’accélérer l’essor et la commercialisation des batteries électriques made in Africa, mieux made in DRC. Les chercheurs qui ont intégré le CAEB travaillaient déjà sur les thématiques orientées « chaîne de valeur de l’industrie des batteries ». Les recherches ne débutent pas avec le lancement du centre.

Lire aussi : RDC. L’université au coeur de la recherche sur les batteries (1). https://www.makanisi.org/rdc-luniversite-au-coeur-de-la-recherche-sur-les-batteries-1/

Outre ce centre, il est prévu de construire une ZES transfrontalière sur la chaîne des valeurs des batteries. Où sera-t-elle installée ?

Le site du hub de la ZES sera choisi de manière à simplifier les opérations et à minimiser les coûts et les prix de vente des produits. La ville de Kipushi, qui est située près de la frontière avec la Zambie, pourrait offrir des conditions favorables sur ce plan. Le ministère de l’industrie travaille sur cette question avec toutes les parties prenantes. À ma connaissance, il y a des avancées significatives.

La ville de Kipushi, qui est située près de la frontière avec la Zambie, pourrait offrir des conditions favorables sur ce plan.

Précurseurs de batteries ou batteries, jusqu’où ira la transformation ?

Le projet comprend le développement et la production de précurseurs et l’assemblage de batteries électriques. Les précurseurs peuvent être développés et produits dans d’autres sites que celui d’assemblage des batteries. Le choix des sites d’opérations est déterminé par des critères techniques, économiques et sociaux. Il est envisagé d’accueillir dans la ZES des fabricants de précurseurs de batteries électriques mais aussi de batteries de véhicules électriques.

Quels seront les avantages offerts aux entreprises de la ZES ?

L’objectif général du CAEB est de soutenir le développement et la commercialisation des batteries électriques en Afrique (en RDC) afin d’améliorer la rentabilité des opérations minières ainsi que la contribution des industries de transformation des matières premières aux économies africaines dont celle de la RDC. Ainsi, le CAEB entend contribuer à créer des emplois très qualifiés et à instaurer la culture de la fabrication de produits finis dans toute la région.

Selon une disposition du code minier de la RDC, les industriels sont appelés à transformer environ 15 à 20% de leur production localement. Le ministère des Mines est partie prenante au projet. Par sa spécificité, notamment par les avantages fiscaux qu’elle offre, la ZES est attractive pour les investisseurs.

Selon une disposition du code minier de la RDC, les industriels sont appelés à transformer environ 15 à 20% de leur production localement.

Des entreprises opérant en RDC dans les filières concernées ont-elles manifesté leur intérêt pour installer une unité dans la future ZES ?

L’installation d’une unité de production dans une nouvelle zone est un processus. Les premières phases, que nous pouvons assimiler à l’incubation, prennent en considération des facteurs variés comme le niveau de maturité technologique (Technology readiness level), le cadre juridique, la concurrence dans la région de marchés potentiels. Le CAEB a pour mission d’aider les entrepreneurs ou les investisseurs à l’étape du processus de décision et aux différents stades des projets d’installation dans la ZES, en leur offrant les supports scientifiques, techniques et légaux nécessaires. Le rapport Bloomberg Nef sur la chaîne de valeur des batteries est une excellente étude que je recommande.  

Le CAEB a pour mission d’aider les entrepreneurs ou les investisseurs à l’étape du processus de décision et aux différents stades des projets d’installation dans la ZES, en leur offrant les supports scientifiques, techniques et légaux nécessaires

La RDC souffre d’un manque d’électricité. Comment cette question sera-t-elle résolue pour la ZES ?

Vous avez raison de mentionner le besoin d’énergie électrique pour les opérations de fabrication de batteries dont certaines étapes ne peuvent être poursuivies suite à une coupure de courant ou une panne mécanique. L’alimentation continue en courant électrique des sites est donc une nécessité pour minimiser les pertes de matières et les coûts associés. C’est pour cette raison que la production des composants des batteries électriques sera répartie sur des sites différents. Mais le choix de Kipushi pour l’implantation de la ZES a pris en compte la question de l’accès à l’énergie électrique. Les études de faisabilité sur la ZES, en cours de réalisation, préciseront les choix.

le choix de Kipushi pour l’implantation de la ZES a pris en compte la question de l’accès à l’énergie électrique.

Quel sera le rôle du Conseil des batteries de la RDC qui forme la 3ème entité du projet ?

Le Conseil des batteries de la RDC est l’organisation par excellence de l’expertise, de l’innovation, du savoir-faire technologique, des infrastructures et de la stratégie de croissance des revenus de l’industrie des batteries en RDC. Il a pour mission de convertir les ressources de la RDC en matériaux et équipements de conversion (qui incluent les batteries, les super condensateurs, les cellules photovoltaïques et les capteurs piézoélectriques) et de stockage d’énergie. C’est l’organe qui portera les ambitions légitimes de la RDC dans sa vocation de participer à la transition énergétique, par l’exploitation et la transformation de ses ressources minérales. Les autorités compétentes travaillent à sa création.

Le Conseil des batteries de la RDC est l’organe qui portera les ambitions légitimes de la RDC dans sa vocation de participer à la transition énergétique, par l’exploitation et la transformation de ses ressources minérales.

Comme l’ont démontré la pandémie du Covid-19 et la guerre en Ukraine, aucun pays ne souhaite être tributaire d’un autre pour ses approvisionnements stratégiques. La RDC a-t-elle pris en compte cet aspect dans sa vision stratégique ?

La RDC est consciente de ces questions géostratégiques et de crise énergétique. Elle va jouer pleinement son rôle et compte tirer profit de ses e-metals (métaux critiques de la transition énergétique) pour le bien-être de sa population. Les stratégies restent confidentielles. Le Conseil des batteries de la RDC, sous la bannière des ministères de l’Industrie et des Mines, portera les orientations du gouvernement congolais en lien avec la vision du chef de l’État sur les questions géostratégiques.

Lire aussi : RDC. L’université au coeur de la recherche sur les batteries (2). https://www.makanisi.org/rdc-luniversite-au-coeur-de-la-recherche-sur-les-batteries-2/

Des pays et des entreprises cherchent également des solutions alternatives pour réduire la place de certains métaux dans les batteries électriques, voire les remplacer. Quelle réponse la RDC apporte-t-elle à cette question ?

Beaucoup de travaux sont entrepris à travers l’Europe, les États-Unis et l’Asie pour substituer du cobalt et du lithium par d’autres éléments tels que le nickel, le fer, le manganèse et le sodium dans la composition des batteries électriques utilisées dans les voitures. La RDC dispose de réserves importantes de ces éléments et le CAEB entend être le leader de l’innovation des composants de batteries utilisant les éléments autres que le cobalt et le lithium. Ceci dit, le cobalt et le lithium offrent des propriétés de stabilité thermique et de performance des batteries électriques supérieures aux autres éléments. Le Conseil des batteries de la RDC intégrera certainement cette question dans l’élaboration des réponses « gagnant-gagnant » à apporter. La contrainte de l’accessibilité et de la disponibilité des matières premières, cobalt et lithium, souvent soulevée par les fabricants de batteries en Europe et aux États-Unis pour justifier la recherche et le développement des matériaux de substitution ne s’applique pas à notre pays. La RDC est engagée dans une vision africaine. Le marché africain sera exploitable.

Si l’on ajoute que des pays ne voudront pas se départir de certaines industries pour des raisons d’emploi, cela signifie-t-il que les négociations ne seront pas toujours faciles entre les différentes parties ? 

Le marché des batteries électriques continuera à grandir au cours des prochaines décennies, donc contribuera à la création de nouveaux emplois dans le monde entier. À terme, les véhicules à moteurs à combustion interne seront remplacés par des voitures électriques. Cela donne une idée du nombre de nouveaux types d’emplois qui seront disponibles. Il est vrai que des compétences deviendront redondantes. Les gens devront se convertir aux nouvelles expertises, mais elles ne disparaitront pas.

Plusieurs rapports dont ceux de l’ITIE sur la bonne gouvernance et la transparence du secteur minier montrent que la RDC est en progrès.  

Des voix se sont élevées pour insister sur la bonne gouvernance du secteur minier. Où en est-on aujourd’hui sur ce plan ?

Nous tenons tous à la bonne gouvernance des ressources naturelles. La RDC a progressé, n’en déplaise à certaines organisations qui ont tendance à ne regarder le secteur minier congolais que par le prisme d’une exploitation artisanale non encadrée. Le CAEB est conscient de la problématique du lien travail des enfants, présence de femmes sur les sites miniers ou non-respect des droits de l’homme. Sur ces questions, les parties prenantes ont largement travaillé. Plusieurs rapports dont ceux de l’ITIE sur la bonne gouvernance et la transparence montrent que la RDC est en progrès.  90 % de la production minière est industrielle et les entreprises installées en RDC respectent un code éthique de bonne gouvernance et les dispositions de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Le secteur artisanal est encadré par les divers acteurs impliqués.

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