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samedi 27 avril 2024
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Après Brazzaville, les 3 bassins forestiers tropicaux sont-ils prêts pour la COP 28 ?

Trois jours de réflexions, de discours et de débats, en plénière, en ateliers, en panels, en « side events » ou à huis clos, quelque 4000 participants, dont une dizaine de chefs d’État, 145 délégations officielles, 18 organisations internationales, plus de 400 ONG, 123 représentants de la communauté scientifique, ainsi qu’une foule de représentants de la jeunesse, de la société civile, des peuples autochtones et du secteur privé, selon les organisateurs du Sommet… La deuxième édition du Sommet des trois bassins (Amazonie, Congo et Bornéo-Mékong-Asie du Sud-Est) des écosystèmes de biodiversité et des forêts tropicales s’est tenue, du 26 au 28 octobre, au centre international de conférences de Kintélé, une commune urbaine du département du Pool, située à une quinzaine de kilomètres au nord de Brazzaville, la capitale du Congo.  

L’honneur d’ouvrir cette deuxième édition est revenu à la Secrétaire générale de l’Organisation du Traité de coopération amazonienne (OCTA), Amazon Cooperation Treaty Organization (ACTO) en anglais, Alexandra Moreira Lopez, qui est intervenue, en visioconférence, depuis le Brésil. Place ensuite à Arlette Soudan-Nonault, ministre congolaise de l’Environnement, du Développement durable et du Bassin du Congo, coordonnatrice technique de la Commission Climat du Bassin du Congo et du Fonds Bleu pour le Bassin du Congo. Ont suivi, plus tard, des représentants du Bassin Bornéo-Mekong-Asie du Sud-est.

Poumons de la planète

Dès le départ, le « la » a été donné. Véritables poumons de la planète, ces trois régions ont pour caractéristiques communes, d’abriter une vaste forêt tropicale primaire, des tourbières et des mangroves, et d’être traversées, chacune, par un fleuve immense, dont le bassin couvre plusieurs pays. Parce qu’elles représentent, 80 % des forêts tropicales du monde et les deux tiers de la biodiversité terrestre, elles jouent un rôle essentiel dans la régulation du bilan carbone et du climat mondial. « Nous) portons 80% des poumons verts, ces écosystèmes forestiers mondiaux. Nous portons les trois quarts de la biodiversité mondiale », a insisté la ministre.

Lire aussi : Forêts du Bassin du Congo, des identités culturelles à préserver. https://www.makanisi.org/forets-du-bassin-du-congo-preserver-les-identites-culturelles/

Identités culturelles

Ces forêts abritent, en outre,  plus de la moitié des espèces animales, de plantes et d’insectes de la planète. Au-delà de leur rôle dans la préservation des biodiversités, elles sont aussi « essentielles à la subsistance et à l’identité culturelle de dizaines de millions de peuples autochtones et de communautés locales », a signalé le directeur du WWF pour le bassin du Congo, Martin Kabaluapa Kapinga,

Un avis partagé par la maître de conférences à l’université d’État de Papouasie (Indonésie), Yustina Lina Dina Wambrauw : « La forêt est un lieu sacré pour de nombreux peuples autochtones et communautés locales qui la gèrent de manière durable pour y vivre depuis des générations. Pour les peuples autochtones, la forêt et la communauté sont interconnectées ; la survie de notre peuple dépend de la longévité de la forêt, de la couverture totale de la canopée et de la disponibilité de la nourriture et des médicaments naturels que la forêt fournit ».

Des forêts menacées

Malgré la présence d’aires protégées et la mise en œuvre de mesures de protection, ces forêts sont menacées, en raison d’une intense activité économique et anthropique. « Les forêts tropicales sont riches en biodiversité et revêtent une grande importance culturelle et économique pour les populations du monde entier. Mais elles continuent d’être menacées par la déforestation et la dégradation », a relevé Fran Price, responsable mondiale des forêts au WWF. Selon la FAO, les causes de la déforestation sont principalement l’agriculture (49,60 %) et l’élevage (38,46%), et, loin derrière, le développement urbain et les infrastructures (6,16%).

Restaurer 350 millions d’ha d’écosystèmes

Pour inverser la tendance, l’objectif du Sommet est de mettre en oeuvre, dans le cadre de la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes, la première coalition mondiale, formée par les trois bassins, pour restaurer 350 millions d’hectares d’écosystèmes terrestres et aquatiques. Un objectif confirmé par Arlette Soudan-Nonault : « Beaucoup de choses nous lient. Et, nous sommes en train d’aller vers une déclaration de principe très fort, pour aller vers un secrétariat des assises qui vont nous permettre de pérenniser cette conjugaison des trois bassins que nous portons, avec le soutien des Nations unies et d’autres partenaires du monde ».

Lire aussi : Écologie : « L’Africain doit écouter les scientifiques ». https://www.makanisi.org/ecologie-lafricain-doit-il-ecouter-les-scientifiques/

Les segments techniques et ministériels

La première journée du Sommet a été consacrée aux experts. On a pu noter la participation de l’Observatoire régional de l’Amazonie, de la Commission des Forêts d’Afrique centrale, de l’OIT, de la CEEAC, du Partenariat pour les forêts du Bassin du Congo, du WRI Indonésie, de l’Institut de recherche pour le développement, de la Société nationale des pétroles du Congo, de l’UICN, du CAFI, de la Wild Conservation Society et bien d’autres organismes. Le 27 octobre, s’est tenu le « Segment ministériel », au cours duquel sont intervenus des ministres de différents pays. L’occasion pour les uns et les autres de rappeler mesures et travaux réalisés et d’aborder diverses thématiques : l’état des lieux des forêts et des tourbières, les travaux scientifiques et techniques en cours, les efforts de conservation et de gestion effectués, la question des financements, tant du côté des bailleurs et des gouvernements que du secteur privé, l’épineuse question du prix de la tonne de crédit carbone, déprécié pour les actions engagées dans les pays africains, la nécessité de développer des mécanismes financiers et de renforcer la coopération scientifique et technique entre États et entre Bassins.

Le segment de « haut niveau »

Très attendue, la dernière journée, dénommée « Segment de haut niveau », a été consacrée aux interventions des Hauts représentants des organisations et institutions internationales (Union africaine, Unicef, Unesco, Organisation internationale de la Francophonie, Agence internationale de l’énergie atomique, etc.), du secrétaire général des Nations unies, António Guterres, et des Chefs d’État, les « vedettes » du jour, sinon du Sommet. Parmi les grands absents, figuraient Paul Kagame, président du Rwanda, et Luiz Inácio Lula da Silva, président du Brésil, très engagé sur les questions écologiques, qui a rappelé, par visioconférence, que son pays a réduit de 50% les abattages des arbres.

Lire aussi : Forêts du Bassin du Congo : vers 10 millions d’ha certifiés gestion durable en 2025 ? https://www.makanisi.org/forets-du-bassin-du-congo-vers-10-millions-dha-certifies-gestion-durable-en-2025/

Passer de l’économie de rente à la bio-économie

Le président de la France, Emmanuel Macron a déclaré, en visioconférence, que la protection des forêts tropicales était une priorité majeure pour son pays. Il a salué les avancées importantes réalisées dans la gestion de la forêt gabonaise, l’engagement du président Denis Sassou N’Guesso ainsi que les bilans de ses homologues brésilien et indonésien, ce dernier ayant réduit le taux de disparition des forêts de moitié depuis 2015. Il a, par ailleurs, invité les pays à « sortir de l’économie de rente qui détruit les forêts et la biodiversité et entrer dans la bio-économie ». La France est, de fait, impliquée dans le Bassin de l’Amazonie, via la Guyane française, région et département français d’outre-mer, situé au nord-est de l’Amérique du Sud et voisin du Brésil.

Les « vedettes » présidentielles d’Afrique

Pas moins d’une dizaine de pays africains étaient représentés physiquement par leurs chefs d’État : le Gabon, la Guinée Équatoriale, la RDC, la Centrafrique, Sao Tomé et Principe, le Togo le Kenya, les Comores, le Ghana, la Guinée-Bissau… Des pays d’Afrique centrale, seuls l’Angola et le Cameroun étaient représentés par des ministres.  

Trois dirigeants ont particulièrement fait le buzz : William Ruto (Kenya), Brice Clotaire Oligui Nguema (Gabon) et Félix Tshisekedi (RDC). Tribuns nés, Ruto et Oligui Nguema ont fait vibrer la fibre africaine des participants. Unité, paix, visas, besoin de changements… Autant de mots « sésames » qui ont déclenché une salve d’applaudissements chez nombre de participants, notamment parmi les étudiants. Malgré des évidences sur la crise climatique et ses conséquences néfastes pour le monde entier, si rien n’est fait pour préserver et restaurer la forêt, on se serait davantage cru dans un meeting que dans une conférence.

La surprise du chef

La surprise du chef est venue de Félix Tshisekedi. Ceux qui s’attendaient à une confrontation (houleuse ?) entre lui et son « frère » rwandais ont été déçus. Car Paul Kagame n’étant pas venu, plus de « ring de boxe » en vue. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, calme, Fatshi, comme le surnomme son fan-club, en a surpris plus d’un. Pas de langue de bois, mais des faits. Après avoir précisé les priorités de la RDC en matière de préservation de l’environnement, il a dénoncé la présence de groupes armés par Kigali dans l’est de la RDC et invité les Africains à cesser de rejeter leurs responsabilités sur les étrangers non africains.

« En ce moment où nous parlons de ce sujet hyper important, la conservation de notre biodiversité, de nos forêts,  il se passe dans le parc des Virunga, l’une des réserves naturelles les plus importantes au monde, un activisme armé qui met à mal cet écosystème et le détruit. Cela n’a pas été décidé à Washington, Londres, Paris ou Bruxelles, mais cela a été décidé en Afrique, plus précisément à Kigali. C’est l’œuvre d’un frère africain. […] Nous devons bannir l’hypocrisie entre nous, le tribalisme, la haine de l’autre. C’est à ce moment-là que l’on pourra effacer les barrières douanières […] Nous serons respectés lorsque nous serons sérieux », a-t-il déclaré.  

Ensemble avec ses pairs de tous les bassins

Relevant le rôle stratégique que joue la RDC dans la lutte contre les changements climatiques, Tshisekedi a insisté sur l’importance d’une action commune des pays du Bassin du Congo : « mon pays qui a pris toute la mesure de sa responsabilité naturelle et historique entend assumer son leadership environnemental et climatique naturel, ensemble avec ses pairs de tous les bassins ».

Enregistrée par la RTNC et des Congolais de RDC présents au Sommet, qui ponctuaient chaque phrase de leur président par des cris de joie, en agitant le drapeau national, l’intervention de Félix Tshisekedi a fait le tour des réseaux sociaux.

Lire aussi : Bassin du Congo : la filières bois-forêt en quelques chiffres, en 2022. https://www.makanisi.org/bassin-du-congo-la-filiere-bois-foret-en-quelques-chiffres-en-2022/

Financements : passer à l’acte

Pour nombre d’intervenants, il est temps de passer à l’acte. « Le temps n’est plus aux longs et beaux discours mais aux actes concrets car il nous faut rapidement mobiliser le financement nécessaire pour espérer pouvoir sauver notre maison commune, la planète », a souligné le président de l’Union africaine, Azali Assoumani. Même plaidoyer de Tshisekedi, qui milite pour « le développement d’un marché de carbone juste et équitable, comme mécanisme de gestion durable aussi bien des trois bassins forestiers tropicaux que des autres massifs forestiers du monde ».

Pour un leadership de haut niveau

Autre préoccupation, l’établissement d’un leadership de haut niveau des 3 bassins. « À l’avenir, il sera important d’avoir une représentation plus solide et un leadership de haut niveau des trois régions, ainsi qu’une discussion plus structurée sur des sujets tels que la manière de s’attaquer collectivement aux moteurs de la déforestation, de promouvoir la restauration et la gestion durable des forêts », a indiqué Fran Price.

Dans une déclaration publiée le 24 octobre, le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou N’Guesso, avait, dès le début du Sommet, appelé de tous ses vœux, une gouvernance Sud-Sud : « L’heure de nous imposer des choix répondant à des logiques que nous ne partageons pas est révolue. J’appelle de mes vœux la consolidation d’une dimension multipolaire de la gestion de la planète, mais aussi et surtout une authentique gouvernance Sud-Sud des biens publics mondiaux, à commencer par la gestion commune et efficace des trois bassins des écosystèmes de biodiversité et des forêts tropicales ».

Lire aussi : Le fleuve Congo en bref. https://www.makanisi.org/le-fleuve-congo-en-bref/

Vers la COP 28

Dans la déclaration finale du Sommet, les participants ont réaffirmé leur « engagement » de coopérer pour lutter contre la déforestation et annoncé avoir posé les bases d’une « feuille de route » pour aller vers « la construction d’un cadre commun de coopération entre les trois bassins ».

Les trois bassins seront-ils prêts et en phase à la COP 28, la conférence internationale de l’Organisation des Nations unies, qui se déroulera du 30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubaï, aux Émirats arabes unis ? Le chiffrage précis des actions à engager pour restaurer 340 millions d’ha d’écosystèmes sera-t-il finalisé ? Et une stratégie, assortie d’une gouvernance Sud-Sud d’ensemble et d’une feuille de route, mise au point ? Autant de points d’interrogation.

Quelques ratés

Loin de nier l’intérêt d’un tel Sommet et la qualité des débats et des interventions, en particulier lors des panels et des évènements parallèles, on peut néanmoins souligner des lacunes. Ainsi, il y a eu pléthore de déclarations, de recommandations, de présentations techniques, au détriment, parfois, d’exposés accessibles au plus grand nombre. On s’est un peu perdu dans le dédale des organismes opérant dans les 3 bassins. Difficile d’identifier les organes faîtiers au plus haut niveau et les stratégies élaborées par les pays d’un même bassin.  

Autre faiblesse, le manque d’interventions en plénière de communautés autochtones et autres peuples vivant en forêt, et d’exemples concrets illustrant les politiques mises en œuvre pour préserver la forêt, incluant les résultats obtenus et les montants engagés. Enfin, la question des bassins hydrographiques, menacés par la baisse des eaux, a peu été abordée.

Outre quelques ratés dans l’organisation du Sommet, malgré les moyens mis à disposition par différents donateurs, dont la France qui a dégagé 60 000 euros pour l’occasion, on peut regretter que les organisateurs n’aient pas suffisamment fait appel à des pépiniéristes locaux pour décorer les lieux avec des plantes du pays. Une manière de les associer au Sommet. Car, exceptés un peu plus d’éclairage public et quelques trous dans la voirie colmatés en centre-ville, nombre de Brazzavillois ne se sont guère sentis concernés par les enjeux du Sommet de Kintélé…  

Quelques données sur les trois Bassins forestiers tropicaux

Bassin de l’Amazonie
  • Premier poumon du monde
  • 10 % de la biodiversité mondiale
  • 832 millions d’hectares
  • Fleuve Amazone : 1er fleuve du monde en débit (200 000 m3/s) et en longueur (7025 km)
  • Bassin qui s’étend sur 9 pays d’Amérique du Sud : Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Guyane française, Guyane, Pérou, Suriname et Venezuela
  • Plus vaste forêt de la planète : 400 milliards d’arbres
  • 100 millions de CO2 captées par an
  • 360 millions d’habitants
Bassin Bornéo-Mékong-Asie du Sud-Est
  • 6 % de la biodiversité mondiale (Bassin de Bornéo)
  • 3ème puits de carbone mondial
  • 270 millions d’hectares
  • deux sous-régions : l’île de Bornéo et le fleuve Mékong.
  • Fleuve Mékong : 1er fleuve d’Asie du Sud-Est, traversant 6 pays : la Chine, la Birmanie, la Thaïlande, le Laos, le Cambodge et le Vietnam. 
  • 490 millions de CO2 captées par an
  • 673 millions d’habitants
Bassin du Congo
  • 10 % de la biodiversité mondiale
  • selon le Cicos, il regroupe 5 pays qui sont traversés par le fleuve Congo ou ont au moins une rivière qui se jette dans le fleuve : RDC, Congo, Angola, Cameroun, Centrafrique.
  • Pour la Commission Climat du Bassin du Congo, créée en 2016, à l’initiative du roi du Maroc, il regroupe 17 pays dont la RDC, l’Angola, le Congo, le Cameroun, la Centrafrique, le Gabon, la Guinée équatoriale…
  • Fleuve Congo : 4700 km de long
  • 268 millions d’hectares de forêts (70 % de la couverture forestière d’Afrique)
  • 610 millions de CO2 captées par an
  • 227 millions d’habitants .
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