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mardi 23 avril 2024
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Énergies renouvelables : une opportunité pour l’Afrique ?

TRIBUNE de Maxime Jong*, consultant.

Dans un monde marqué par l’interdépendance, l’incertitude et l’évolution rapide des données, les décideurs politiques sont parfois frileux à l’idée de se prononcer sur leurs choix de développement. Afin de démontrer la cohérence d’une industrialisation axée sur l’innovation verte et la non exploitation de nouvelles ressources fossiles, Maxime Jong, l’auteur de cette tribune, propose à la fois un décryptage non exhaustif des principaux signaux mondiaux en lien avec la transition énergétique et une déconstruction de trois arguments qui sous-tendent le discours du camp se revendiquant d’un pragmatisme pro ressources fossiles.

Face aux conséquences disproportionnées des changements climatiques que subissent les populations et les écosystèmes sur le continent africain, plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une action climatique équitable visant à réduire les pertes et dommages mais aussi à compenser les effets positifs de la conservation des écosystèmes. Malgré l’urgence et une forte mobilisation des décideurs africains, les négociations internationales continuent d’achopper sur le financement de l’action pour le climat. Couplées à ces désenchantements, les pressions liées au retard de développement alimentent le débat sur la trajectoire d’industrialisation que devrait emprunter le continent.

Dans ce débat, deux camps s’opposent : d’un côté, les défenseurs d’un développement inclusif et durable axé sur la coopération, les innovations vertes et de nouvelles formes de gouvernance et, de l’autre, le camp se revendiquant du pragmatisme, qui prône une autonomie africaine vis-à-vis des pressions internationales liées aux climats, milite en faveur de l’exploitation des ressources fossiles et de leur intégration dans des chaînes de valeurs locales.

Depuis quelques années, les annonces concernant la réduction ou la cessation des financements destinés aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) se multiplient.

Implications du Zéro émission nette d’ici 2050

Depuis quelques années, les annonces concernant la réduction ou la cessation des financements destinés aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) se multiplient. Ces décisions concernent autant les grands acteurs du monde occidental qui en ont pris l’engagement lors de la COP 26 à Glasgow, que la Chine, 2ème puissance économique mondiale et leader des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), qui a annoncé l’arrêt des financements publics pour des projets de développement du charbon à l’étranger. Les effets de ce signal fort sont déjà visibles sur le continent avec le retrait de certaines majors du pétrole et gaz des projets d’exploration et d’exploitation. Après le pic pétrolier que des organismes spécialisés situent entre 2018 et 2030, et celui du gaz d’ici 2045, et la multiplication des efforts de transition vers des énergies propres, les retours financiers dans ces secteurs tendront à diminuer, voire à être négatifs pour les projets de long terme sur le continent.

Les décideurs africains ne devraient pas se laisser distraire par le regain temporaire d’intérêt pour les ressources fossiles africaines, lié aux stratégies d’approvisionnement de l’Union Européenne qui souhaite remplacer le gaz russe par du gaz algérien, congolais, mauritanien ou sénégalais. Ce regain risque d’être limité dans le temps du fait des transitions énergétiques en cours en Europe et destine l’exploitation des ressources à des marchés extérieurs au continent. Ce dernier point est pourtant l’un des principaux arguments des pro-exploitation des ressources gazières du continent pour produire une électricité bon marché essentielle à l’industrialisation.

À lire : Afrique, transition écologique et énergétique : les grands défis. https://www.makanisi.org/afrique-transition-ecologique-et-energetique-les-grands-defis/

Les opportunités que représentent les énergies renouvelables et leur sous-exploitation doivent nous inciter à en faire notre priorité.

Une industrialisation reposant sur une électricité bon marché mais pas n’importe laquelle.

S’appuyant sur un potentiel gazier de plus de 5 000 milliards de mètres cubes, des institutions, telles que la Commission économique pour l’Afrique (CEA-ONU) ou la Banque Africaine de Développement (BAD), suggèrent « pour aller plus vite » d’utiliser le gaz naturel liquéfié comme énergie de remplacement pour les centrales électriques fonctionnant au pétrole et au charbon. Selon l’Agence internationale de l’énergie, l’Afrique est en mesure d’en fournir 30 milliards de mètres cubes d’ici 2030. Cette option est tentante, mais, dans le même horizon, de nombreux rapports, notamment de grands cabinets de conseil, montrent que le solaire sera la source d’énergie la moins chère et la plus compétitive sur le continent.

Selon la BAD, l’Afrique dispose de 40 % du potentiel mondial en énergie solaire, soit 10 000 Gigawatts. Les opportunités que représentent les énergies renouvelables et leur sous-exploitation doivent nous inciter à en faire notre priorité. Pour proposer une solution holistique au problème d’accès à une énergie bon marché, trois autres défis doivent être pris en considération : la réduction des pertes de transmission et de distribution estimées autour de 18-25 %, le caractère intermittent des énergies renouvelables et la forte disparité des prix du KWh sur le continent. Ces défis offrent des opportunités de mutualisation et de coopération conformes aux idéaux du panafricanisme et susceptibles de créer des milliers d’emplois locaux par la construction et la maintenance de réseaux interconnectés ainsi que de pools énergétiques et de marché régionaux avec des prix au KWh plus compétitifs et propices à l’industrialisation.

Arguments macroéconomiques en faveur d’un saut technologique par-dessus les ressources fossiles non exploitées

Malgré ses réserves en hydrocarbures et une hausse de la consommation locale, l’Afrique importe l’essentiel du pétrole raffiné qu’elle consomme. Or, la flambée actuelle des prix oblige des pays à subventionner leur consommation d’énergie. En 2022, le Nigeria, premier producteur du continent, importait près de 90% de son carburant aux prix du marché mondial. La logique de rente privilégiée par certains pays, dont les exportations de pétrole brut représentent près de la moitié du PIB, les a conduits à sous-investir dans le raffinage. Cette situation entraîne d’importants déficits budgétaires et commerciaux et creuse le niveau d’endettement de ces pays.

Malgré ses réserves en hydrocarbures et une hausse de la consommation locale, l’Afrique importe l’essentiel du pétrole raffiné qu’elle consomme.

La logique voudrait que des investissements soient consentis pour que le continent se dote des infrastructures qui lui font défaut et réduise sa dépendance aux importations. Rien n’est moins sûr. La réduction des sources de financement disponibles pour des investissements liés aux ressources fossiles devrait contribuer à justifier notre sortie progressive de ce secteur. Allons-nous, comme certains le suggèrent, faire appel à l’épargne nationale pour financer des projets de moins en moins pertinents au plan économique, stratégique et environnemental ?

À lire : Des motos-taxis électriques, un pas pour décarboner les villes africaines. https://www.makanisi.org/des-motos-taxis-electriques-un-pas-pour-decarboner-les-villes-africaines/

De plus, avec le conflit en cours en Europe, les perspectives jouent en faveur, non pas d’une transformation locale des ressources, mais plutôt de la poursuite des exportations. Les capacités de paiement des acteurs européens et la mise en œuvre de nouveaux accords de vente avec l’Europe affecteront des marchés locaux africains. À long terme, les exportations du continent seront menacées par la réduction de la consommation des énergies fossiles en Europe, conformément à la perspective Zéro émission nette d’ici 2050. Enfin, comme le rappelle, dans une entrevue accordée à BBC Future, Victor Flatt, professeur de droit de l’environnement et directeur du Centre juridique sur l’environnement, l’énergie et les ressources naturelles à l’Université de Houston, les pays riches en pétrole, désireux de vendre leurs derniers barils aux pays en développement (leurs derniers marchés) « feront baisser les prix, éliminant peu à peu les économies de combustibles ». Il y a donc urgence à repenser nos façons de faire pour enjamber les dernières ressources fossiles non exploitées et investir directement dans des infrastructures de production, de stockage et de transport des énergies renouvelables.

Une vision conforme à ce que nous sommes et appuyée sur l’innovation et l’énergie verte.

Mettant en avant l’impact marginal d’une exploitation du gaz africain sur les émissions de CO2 au cours des 30 prochaines années (3,5% des émissions mondiales, selon l’AIE), des lobbies pro-gaz militent pour un droit à polluer. Cette position prétendue pragmatique est mise en scène comme une nouvelle forme de résistance face à un agenda climatique international considéré comme sans pitié et déconnecté des réalités africaines. Omettant d’aborder la concordance des valeurs africaines avec le respect de l’environnement, ceux-ci critiquent un agenda qu’ils jugent adossé aux visions occidentales. En dehors des grandes villes africaines, tout prouve le contraire, nos communautés autochtones sont en constante recherche d’équilibre et d’harmonie avec un environnement considéré comme vivant et d’égale valeur avec l’Homme, si ce n’est supérieur.

En conformité avec ces valeurs, nous devons nous battre ensemble, non pas pour disposer d’un droit à polluer et à faire les mêmes erreurs que ceux qui cherchent déjà à les réparer, mais pour construire d’entrée de jeu des systèmes de production, de consommation et d’échanges solidaires et respectueux de l’environnement.

Nous devons également œuvrer pour le contrôle des minEraIS critiques pour la transition écologique (cobalt, manganèse, platine, graphite et chrome).

Nous devons également œuvrer pour le contrôle des minerais critiques pour la transition écologique (cobalt, manganèse, platine, graphite et chrome). Pour rappel, la RDC représente 70% de la production et 40% des réserves mondiales de cobalt. Enfin, l’innovation verte doit être au cœur de nos stratégies de développement et intégrer nos économies de manière transversale. Au Kenya, les énergies renouvelables représentent 74 % des capacités de production installées et produisent 90 % de l’électricité utilisée. Le pays est devenu le 7ème producteur au monde d’énergie géothermique, avec une production de 823 mégawatts en 2020. Des études montrent, par ailleurs, que l’intégration de nouvelles normes de performance énergétique et l’utilisation de matériaux et de technologies vertes, en plus de créer des emplois, aboutiraient à des gains d’efficacité en matière de consommation énergétique de l’ordre de 30 % en 2030 soit 230 térawattheures (TWh).

Les choix de développement que sont appelés à faire les décideurs politiques africains en notre nom, peuvent rendre les économies africaines plus compétitives, résilientes et durables. Un leadership assumé, basé sur une vision durable, prônant la mutualisation et la gouvernance partagée, doit conduire à des réformes institutionnelles et réglementaires pour favoriser l’investissement et la diffusion d’innovation verte. En privilégiant cette approche, le continent pourrait effectuer un saut de développement cohérent avec qui nous sommes et limiter l’exploitation de ressources fossiles. Pour le bien commun appelons nos décideurs à faire les bons choix et acceptons que choisir c’est aussi renoncer.

*Maxime Jong

Maxime Jong, d’origine camerounaise, réside au Québec (Canada). Il est diplômé en stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’Université du Québec, à Montréal, et en économie circulaire de l’Université de Montréal. Après 6 ans passés dans une plateforme en économie collaborative à Montréal, dont il fut fondateur, et 5 ans en cabinet de conseil, Maxime Jong est engagé comme conseiller en stratégie auprès de différents acteurs politiques. En plus de son travail en politique municipale à Montréal, il intervient comme consultant en développement économique inclusif et durable en Afrique.

Les tribunes publiées sur notre site ne reflètent pas nécessairement l’opinion de makanisi.org

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