Avec Parcelle à vendre, son second livre et son premier roman, paru en juillet aux Lettres Mouchetées, Arian Samba nous amène au Congo-Brazzaville, son pays natal, où il a vécu pendant une quinzaine d’années. Entre fiction et réalité, le voyage auquel il nous invite, nous conduit, à travers l’histoire d’un couple venu acquérir une parcelle au bord du fleuve, dans les dédales du marché foncier de la capitale congolaise et son lot d’arnaques en tout genre.

Qu’il soit celui des passions, celui des maltraitances, celui de la décrépitude morale ou politique, les artistes excellent à forger le beau, le plaisant du moins, à partir du désordre de l’humanité. Les écrivains davantage que les autres.
Si la littérature triomphe, c’est qu’elle convoque en ses instances, fondus en alliage dans le creuset de ses phrases, émotions et raison. Saisissant les tourments, les désespoirs, les douleurs, elle émeut autant qu’elle incite à méditer et, ce faisant, mobilise les lecteurs. C’est ce à quoi s’est attelé Arian Samba avec Parcelle à vendre, son premier roman qui complète la liste infinie des œuvres pétries dans les verrues sociétales.
Non sans originalité, l’ouvrage recèle d’inventivité. La banalité dans laquelle les a précipitées leur ampleur n’a pas empêché Arian Samba de s’emparer de la question des arnaques immobilières ; pourvu qu’elle évoque l’homme, les écrivains de qualité composent de bons livres dans toute pâte.
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Les maladies d’une société
En séjour à Brazzaville, Ngo et Élisabeth, un couple franco-congolais résidant en France, acquiert le terrain rêvé pour se bâtir une demeure brazzavilloise. Les travaux ne tardent pas à débuter, le couple jubile. jusqu’à ce qu’ils réalisent qu’ils ont été victimes d’une escroquerie… La trame, enrichie par la peinture des principales facettes d’une société corrompue, n’embrasse pas, comme l’eussent voulu les fondamentaux du roman, la psychologie, les motivations, la singularité des personnages dans le contexte de l’intrigue ; l’urgence fondatrice de Parcelle à vendre, la mise en relief du chaos congolais justifient ce choix. Les canons étriquent l’art, le roman ignore les formes définies, semble affirmer Arian Samba. Parcelle à vendre ne romance pas les effets d’une société malade sur ses habitants, mais expose à travers des figures secondaires, les maladies de cette société. Les personnages principaux sont des prétextes.
Parcelle à vendre ne romance pas les effets d’une société malade sur ses habitants, mais expose à travers des figures secondaires, les maladies de cette société. Les personnages principaux sont des prétextes.
Le Kifounda
« Oh, ne me traitez surtout pas de fou ! Qui n’est pas fou dans ce pays ? hein ? […] Ce pays a pour deuxième nom folie » déclare un personnage. Le diagnostic posé, Arian Samba en expose les symptômes avec une formidable acuité. À commencer par le troublant Kifounda, tour à tour bar, agence immobilière, bordel, église, qui inflige une déconcertation sévère à Ngo. Désignant un paquet ou un baluchon en langue Kongo, le Kifounda symbolise la confusion qui gangrène le pays. Fort à propos, l’allégorie ferait le bonheur d’un plasticien des images.
Le comble du désordre se résume dans la phrase « c’est inscrit dans la Constitution ». Au milieu des incongruités auxquelles Ngo et sa femme sont confrontés, elle résonne comme la ritournelle justificatrice de toutes les transgressions. L’instrumentalisation de la loi au service des bassesses et des ambitions des puissants trouve dans la proposition une édifiante illustration.
Désignant un paquet ou un baluchon en langue Kongo, le Kifounda symbolise la confusion qui gangrène le pays.
Le roman ne précise pas si la folie est contagieuse, mais, dans cette fiction, le Président de la République semble aussi atteint que son peuple. Cet homme « sacré » se double d’un fantasque qui impose ses bizarreries au peuple : « il avait la manie de faire des dessins auxquels il attribuait une valeur divine, exprimant selon lui la volonté de Dieu ! Chaque dessin quotidien du Président dictait la manière de s’habiller, de manger, l’heure de dormir et de travailler. Si un citoyen ne s’acquittait pas de sa tâche et de ses devoirs conformément à la Constitution, rédigée par le Président lui-même, il était sanctionné et soumis à des heures de louanges compensatrices à la télévision, à la radio ou devant le palais présidentiel ».
Lire aussi : La ronde des ombres, une fiction sur la dictature et la politique en Afrique centrale. https://www.makanisi.org/la-ronde-des-ombres-une-fiction-sur-la-dictature-et-la-politique-en-afrique-centrale/
Désenchantement
Amenés d’une plume dextre, des détails vivifient le panorama envisagé par Arian Samba : par des touches impressionnistes, il suggère les apparences de la ville tout en la campant au moral. Les ambiances bruissent, les silhouettes se devinent, la pauvreté expose ses haillons, de solides évocations envahissent l’esprit du lecteur ; Parcelle à vendre cristallise l’air du temps. Le regard neuf d’Élisabeth ne rate rien : la démarche des femmes, leurs pagnes, les vêtements inchangés des hommes, le foisonnement des commerces, la joie de vivre brazzavilloise, etc. On a presque envie, au gré des pages, d’aller dans cette ville où, malgré le traumatisme des guerres et d’autres maux, la gaité s’ébat sur les sourires contagieux de ses habitants. La perception enchantée de la Française charrie les mêmes illusions que celles des analyses afro-optimistes dupes des apparences ou des chiffres, qui postulent de l’entrée prochaine de pays africains dans le cercle prestigieux des émergents. Mais à mesure que se prolonge son séjour et que s’éclairent les machinations derrière l’arnaque dont son mari et elle sont victimes, elle déchante : « tu m’avais bien mise en garde sur le triomphe des ténèbres ici ».
à mesure que se prolonge son séjour et que s’éclairent les machinations derrière l’arnaque dont son mari et elle sont victimes, elle déchante : « tu m’avais bien mise en garde sur le triomphe des ténèbres ici ».
L’humour plutôt que le pathos
Probablement par refus de céder aux larmes qu’en principe arrachent les situations décrites, Arian Samba préfère l’humour au pathos. L’élégance de sa langue s’agrémente de saveurs locales grâce à des néologismes qui ajoutent au ton humoristique du texte. Seulement la légèreté, le badinage, le rire, dans ce roman, ne conjurent pas la gravité. Elle sourd sous le ridicule de certains personnages et grince dans la colère de Ngo : « Ce pays, mon pays ! peuplé de clébards et de batards, de misérables et méprisables, de froussards, de truands, ce pays où on valorise la merde, où les escrocs sont élevés au rang de héros nationaux ; ce pays où le vol est porté par un élan particulier parce que c’est une fin en soi […d’ailleurs le Congo a pour deuxième nom Morveux».
la gravité sourde sous le ridicule de certains personnages et grince dans la colère de Ngo.
Éclairant les contours les plus mesquins de la corruption, les caricatures de Samba s’érigent en lointaines héritières du castigat ridendo mores (Elle corrige les mœurs en riant) de la Comedia del arte : elles châtient les fauteurs de misère par le grotesque.
Malgré la mise à distance du douloureux par le rire, l’auteur semble rappeler au lecteur que ce rire est fruit de l’art et que la réalité est d’une noirceur effrayante.
les caricatures de Samba s’érigent en lointaines héritières du castigat ridendo mores (Elle corrige les mœurs en riant) de la Comedia del arte : elles châtient les fauteurs de misère par le grotesque.
Lire Parcelle à vendre c’est aussi s’exposer à des souffrances. L’aigre-doux de la composition de Samba, son rire puisé dans la pénible claudication du Congo-Brazzaville, évoquent des vers du poète congolais Dominique Ngoïe-Ngalla : « Cette ride au coin de ma bouche/Ce n’est pas d’amertume, je t’assure./mais j’ai tant ri au spectacle désaccordé du monde des humains ».

- Titre : Parcelle à Vendre
- Auteur : Arian Samba
- Éditeur : Les Lettres mouchetées
- Date de parution : 15/07/2022
- Nbre de pages : 120 pages
- Illustration 1ère de couverture : Guillaume Makani
- Prix : 14 euros