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samedi 2 décembre 2023
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Pays de la Cemac/France : le pari du co-investissement dans les filières agricoles

Dans le cadre de sa série Regard sur le Monde, Bpifrance a organisé, le 14 septembre dernier, en partenariat avec le Service économique régional (SER) de Yaoundé auprès de l’Ambassade de France au Cameroun, Business France, Alpha et le pôle Agriculture et agro-alimentaire du Mouvement des entreprises de France (Medef) International, une visioconférence sur le potentiel et les enjeux des filières agricoles et agro-alimentaires d’Afrique centrale. L’accent est mis sur la nouvelle approche proposée par des institutionnels et des privés qui vise à favoriser un développement agro-pastoral durable et à mettre en place des partenariats équilibrés.

La zone de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) compte six États membres : le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République centrafricaine (RCA) et le Tchad. Et deux unions : l’Union Économique de l’Afrique centrale (UEAC), chargée d’harmoniser les réglementations en vigueur au sein des États, et l’Union monétaire de l’Afrique centrale (UMAC), qui assure la convergence monétaire des États membres qui partagent le Franc CFA.

C’est dans cet espace régional, bordé par deux géants, la RDC et le Nigeria, que Bpifrance, une banque publique d’investissement française, a invité les sociétés françaises à investir et à coopérer sur la base d’une nouvelle approche.

 « Inventer une nouvelle façon de faire au service des intérêts de nos partenaires africains et français », a indiqué, en effet, Arnaud Floris, coordinateur Afrique de Bpifrance, à l’ouverture de la Conférence. Pour l’Afrique, cette nouvelle politique, basée sur la co-industrialisation, le co-investissement et le co-financement sur le long terme, s’applique plus spécifiquement aux filières agricoles, agro-industrielles et d’élevage. « Nous avons la volonté de développer les chaînes de valeur des filières agro-industrielles et de transformer davantage les matières agricoles pour les marchés locaux et régionaux. », affirme-t-il

Pour l’Afrique, cette nouvelle politique, basée sur la co-industrialisation, le co-investissement et le co-financement sur le long terme, s’applique plus spécifiquement aux filières agricoles, agro-industrielles et d’élevage

Faciliter et financer les partenariats

Le rôle de Bpifrance est de sensibiliser les acteurs français aux opportunités agricoles en Afrique, de mobiliser du savoir-faire et des financements français, de faciliter et de financer les courants d’affaires et les partenariats dans les deux sens.

Jouer le rôle d’interface entre les porteurs de projets africains, d’une part, et les entreprises et les fonds d’investissements français, de l’autre, est à la portée de la banque. Bpifrance dispose, en effet, d’outils et instruments financiers adaptés et bénéficie d’un vaste réseau d’entreprises ainsi que des collaborations de France Export, de France Business, du Medef International et de l’initiative Alpha.

Pisciculture, productions agricoles, infrastructures de séchage et de stockage, matériels agricoles, tracteurs, intrants… La gamme des activités et des équipements pouvant être financée est diversifiée.

S’agissant de la montée du sentiment anti-français dans des pays du Sahel, Floris se veut rassurant : « Même s’il y a des situations complexes dans certains pays, avec une incompréhension et un rejet sécuritaire, il n’y a pas de rejets à l’échelle individuelle et locale. La langue française facilite les affaires. Il faut juste intégrer le souhait de souveraineté économique des États africains et aborder les marchés africains avec souplesse et adaptabilité, en se projetant sur le long terme », signale-t-il.

Lire aussi : La filière cacao d’Afrique centrale dominée par le Cameroun. 2/2. https://www.makanisi.org/la-filiere-cacao-dafrique-centrale-dominee-par-le-cameroun-2-2/  

Situation macroéconomique de la zone Cemac

Présentée par Florent Damion, conseil financier du SER de Yaoundé, la zone CEMAC abrite quelque 60 millions d’habitants, soit un quart de la population du Nigeria. Le Cameroun et le Tchad forment environ les 4/5ème de la population régionale. L’indice du développement humain (IDH) y est globalement faible, plutôt assez faible en Centrafrique et au Tchad, plus avancé au Gabon et intermédiaire au Cameroun et au Congo.

Cette zone se caractérise par un commerce inter-régional relativement limité, pour des raisons notamment tarifaires. Les rares exportations intra-régionales sont principalement le fait du Cameroun, le seul pays de la zone à exporter vers le Tchad, la Centrafrique et la Guinée équatoriale.  Le Cameroun assure, en outre, plus de la moitié du Produit intérieur brut (PIB) régional et son économie est la plus diversifiée de la zone. 

La Cemac n’échappe pas aux divers chocs que connaît la planète. Face à ces différentes secousses, les économies de la zone ont toutefois été globalement résilientes.

Résilience des économies de la région

Chute des prix des matières premières, pandémie de covid-19, répercussions de la guerre en Ukraine… La Cemac n’échappe pas aux divers chocs que connaît la planète. Face à ces différentes secousses, les économies de la zone ont toutefois été globalement résilientes. La croissance de 3% y a été modeste, mais stable, comparativement à d’autres régions d’Afrique, avec toutefois des différences d’un pays à l’autre. La Guinée équatoriale, dont l’économie est majoritairement tournée vers le pétrole, ainsi que la RCA sont en récession. La RDC a eu une croissance plus forte, mais portée par le secteur minier.

Lire aussi : La république d’Angola en chiffres. Édition juin 2023. https://www.makanisi.org/la-republique-dangola-en-chiffres-edition-juin-2023/

Bien qu’élevée (5,4%), à cause des importations, notamment de produits alimentaires, mais aussi de la hausse des prix des produits locaux, l’inflation dans la zone Cemac reste néanmoins modérée, comparativement à celle du Nigeria (20%) et de la RDC (10%).

L’endettement est contenu, à l’exception du Congo qui dépasse les seuils régionaux fixés à 70% du PIB. Si la soutenabilité ne pose pas problème, en revanche le service de la dette pèse sur les finances publiques.

Reprise des exportations françaises vers la zone

Les relations commerciales entre la France et la zone Cemac sont anciennes. Toutefois, en termes de parts de marchés, les exportations françaises vers la Cemac sont passées de 40 % en 1990 à 8,6% en 2021. Mais, la situation s’est stabilisée depuis 2020 et on note même une reprise en 2022. La hausse se mesure autant en valeur qu’en volume. Elle ne s’explique donc pas seulement par l’augmentation des prix. Les exportations portent sur les produits industriels divers ainsi que des productions agricoles, dont le blé, et agro-alimentaires. Les importations depuis la zone sont, pour leur part, dominées par les hydrocarbures.

L’Afrique centrale dispose d’un potentiel agro-écologique important mais insuffisamment valorisé.

Les filières agri-agro de la zone Cemac

Selon Maxime Ndoun, chargé de développement à Business France Cameroun, l’Afrique centrale dispose d’un potentiel agro-écologique important mais insuffisamment valorisé. Ndoun souligne par ailleurs que les opérateurs de la région évoluant dans la branche agro-alimentaire, sont prêts à travailler avec la France. Certes, les équipements français sont souvent plus chers, mais le made in France est recherché par les entreprises locales pour sa qualité, comparativement à l’offre d’autres pays, notamment d’Asie.

De tous les pays d’Afrique centrale, le Cameroun est celui dont l’agriculture est la plus diversifiée et qui réalise d’ailleurs plus de 50 % de la production de la zone. En outre, il exporte non seulement vers les pays de la sous-région mais également vers le Nigeria, qui est un énorme marché. Les cultures de rente portent sur le palmier à huile,  une filière qui compte de grands groupes et attire de plus en plus d’acteurs, ainsi que l’hévéa.

La production agroalimentaire du Gabon est concentrée sur de très petites cultures. Les cultures du palmier à huile et de l’hévéa sont assurées par de grands groupes (Olam et Siat Gabon). Le Tchad est orienté vers la céréaliculture, le maraichage et la filière bovine. Le cheptel y est important mais la transformation très limitée.

D’une manière générale, malgré la taille importante du cheptel au Cameroun et au Tchad,   l’élevage est très peu valorisé en zone Cemac et la filière agro-alimentaire très dépendante de l’extérieur pour les matières premières, les équipements industriels et les emballages.

La filière agro-alimentaire du Cameroun compte de nombreuses unités de production de tailles diverses. Celle du Gabon et du Congo est centrée sur l’industrie brassicole et sucrière ainsi que la meunerie. Les unités sont en majorité des filiales de groupes étrangers.

Travailler en coalitions d’acteurs français et africains

Présentée par son vice-président, François Burgaud, la coalition Alpha a vu le jour à l’occasion du One Planet Summit 2021, puis a été formalisée fin mars 2023 après le voyage du président français Emmanuel Macron en Afrique, en particulier au Cameroun. Elle représente une centaine d’entreprises qui travaillent en Afrique subsaharienne depuis longtemps. Elle est née de la volonté de ces entreprises de travailler en coalitions d’acteurs français et africains, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et de l’agro-alimentaire.

Sur cette base, Alpha s’est fixé deux objectifs : signer des accords de partenariats et de sensibiliser les autorités publiques et les bailleurs de fonds, sur l’importance à accorder aux questions agricoles et d’élevage, pour des raisons de sécurité alimentaire et de nutrition. Une commission spécifique sur les questions de financements a été mise en place.

Alpha est née de la volonté de ces entreprises de travailler en coalitions d’acteurs français et africains, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et de l’agro-alimentaire.

Le positionnement d’Alpha sur l’agriculture et l’élevage considéré comme un axe majeur du nouveau partenariat Afrique-France a contribué, entre autres, au lancement de l’initiative française, puis européenne, FARM  (Food and Agriculture Resilience Mission), secteur privé. Alpha travaille aujourd’hui avec le Cameroun, l’Angola, le Togo, la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

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Exonérations fiscales et douanières au Congo

Pour Michel Djombo, président d’Unicongo, principal syndicat patronal du Congo, et directeur général de la PME agricole CA-Agri, l’agriculture ayant été abandonnée pendant très longtemps, le Congo importe entre 1,8 et 2 milliards d’euros de produits alimentaires par an. Toutefois des avancées récentes sont à signaler. Ainsi, la création au sein d’Unicongo, de la Fédération Agriculture, élevage et pêche, un secteur qui relevait autrefois de la Fédération Industrie du bois, et l’élection à la tête du patronat, de Michel Djombo, traduisent l’importance que revêt désormais le secteur agricole pour le syndicat.  

Même sursaut du côté du secteur public. La baisse des cours du pétrole et la pandémie de Covid ont amené les pouvoirs publics à prendre conscience de l’enjeu de la sécurité alimentaire. Faute de pouvoir subventionner ou financer les filières agricoles et d’élevage, par manque de moyens financiers, ils ont choisi d’accompagner les entreprises par des exonérations sur les plans douanier et fiscal pour encourager l’investissement.

Manque d’expertise et de structuration des filières agricoles

Ces exonérations ont poussé des PME à s’investir dans les filières agricoles au sens large. Mais très vite, elles ont été confrontées à diverses difficultés. Ainsi l’expertise et la formation font défaut, les filières agricoles et agro-alimentaires ne sont pas structurées et organisées en chaînes de valeur et l’accès à des intrants de qualité est limité. Par méconnaissance, les petits agriculteurs n’utilisent pas d’engrais. D’où la faiblesse des rendements. Pour pallier les manques, des groupes agro-industriels, situés en aval, ont tenté de substituer leurs importations par des productions locales. Pour réaliser très vite qu’il y avait un vide au milieu de la chaîne. Certains investissent donc en amont et tentent de stimuler des acteurs de la chaîne de valeur

La cherté du corridor de transport entre Pointe-Noire, située au bord de l’océan Atlantique, et Brazzaville, la capitale, est un autre casse-tête. Or Brazzaville et Kinshasa, capitale de la RDC voisine, sont des marchés porteurs.

Pour Michel Djombo l’agriculture est un secteur porteur au Congo et son pays, par sa position géographique au cœur de l’Afrique centrale, et la présence d’un port en eau profonde à Pointe noire,  peut être un formidable tremplin pour rayonner sur l’Afrique centrale et l’ouest de la RDC. Néanmoins, il invite les investisseurs à la prudence et leur recommande de ne pas s’en tenir aux statistiques douanières, mais de s’informer des réalités du terrain.

L’agriculture est un secteur porteur et le Congo, par sa position géographique au cœur de l’Afrique centrale et la présence d’un port en eau profonde à Pointe noire, peut être un formidable tremplin pour rayonner sur l’Afrique centrale et l’ouest de la RDC.

Des solutions locales, pour les locaux

Pour Marc Debets, président d’Apexagri, créée en 2013,  le  développement d’une filière passe par la construction d’un plan. Ce plan, qui inclut l’investissement dans les infrastructures routières et de stockage, dans la logistique, la conservation et la transformation, doit se faire « dans le cadre d’un partenariat public-privé, l’État agissant comme une force de régulation et le privé apportant son efficacité et son expertise ».

C’est ainsi qu’Apexagri a appuyé l’élaboration du plan de la filière élevage, au Tchad, en partenariat avec l’État et la société Arise. Ce plan prévoit la création de 7 zones industrielles. Les montants d’investissement nécessaires n’étant pas toujours à la portée des privés locaux et des pouvoirs publics, c’est au niveau du financement que les Français peuvent intervenir en apportant leur expertise et une reconnaissance internationale, pour que le projet soit finançable par des acteurs internationaux. « C’est l’expertise qu’apporte Apexagri dans 14 pays africains. Il y a des risques mais il faut être humble, s’adapter au terrain, faire confiance aux acteurs locaux, partager et ne pas y aller seul. La coalition d’acteurs est un élément clef pour réussir ensemble la bataille de la production agricole »,

Ouvrir les marchés à l’export aux petits producteurs

L’objectif de Fresh Afrika est d’ouvrirdes marchés internationaux aux petits producteurs d’Afrique subsaharienne. La startup, créée en 2021, intervient en RDC, au Cameroun et au Sénégal. « On a créé un système technologique qui permet de récupérer les productions des petits producteurs pour les placer sur les marchés extérieurs, et de collecter des données de toutes sortes », précise Katia Kuseke, co-fondatrice avec Noëlla Ligan de Fresh Afrika. Ce système permet à la startup d’être transparente, d’accompagner les producteurs, de les former, de les équiper et de garantir un produit conforme à son cahier des charges, notamment sans OGM, ni pesticide, ni produit chimique.»,

Selon la FAO, environ 40% des produits agricoles ne sortant pas des exploitations, Fresh Afrika polarise son action sur les débouchés et la transformation. « Au Cameroun, on a démarré la transformation dans un container. On ira ensuite vers une usine ». Selon Katia,  aucun pays ne ressemble à un autre, tout dépend de la culture et de l’organisation de chacun. Il faut donc adapter la formation aux spécificités du terrain.  

« On a créé un système technologique qui permet de récupérer les productions des petits producteurs pour les placer sur les marchés extérieurs, et de collecter des données de toutes sortes »

Lire aussi : Le Cameroun fête la banane plantain. https://www.makanisi.org/le-cameroun-fete-la-banane-plantain/

Penser le temps long

Faire de l’agriculture durable et créer des chaînes de valeur agricoles intégrées imposent  de « penser le temps long », pour favoriser l’appropriation des savoirs et réfléchir de manière globale, ont recommandé les participants à la Conférence. Il convient aussi de monter des projets pilotes et des fermes modèles pour diffuser les savoir-faire, de se concentrer sur les produits compétitifs et d’inviter les pouvoirs publics à investir dans les infrastructures. Développer l’agriculture contractuelle est une alternative, en donnant des garanties sur les prix aux producteurs, même si ce type de partenariat est plus facile à mettre en place pour le coton que pour l’arachide.

« Nous avons l’obligation collective de faire changer les choses », conclut Marc Debets.

Mais il faut aussi de l’optimisme, partager les expériences et mettre en place un système qui permet aux petits producteurs de se greffer sur des industriels pour bénéficier de leur expertise et de leurs ouvertures. « Nous avons l’obligation collective de faire changer les choses », conclut Marc Debets.

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