L’Association des ressortissants du monde d’eau (Arem’eau) défend les intérêts des populations vivant dans la Cuvette congolaise, un vaste espace dépressionnaire situé dans le nord-est du Congo-Brazzaville. Baptisé Congolie, ou pays des confluents, par l’historien congolais Abraham Ndinga Mbo, cet espace se caractérise par l’omniprésence de l’eau sur son territoire et la présence d’un faisceau de rivières qui convergent vers le fleuve Congo. Espace géographique et écologique, la Cuvette congolaise est aussi un espace économique, centré principalement sur la pêche, et culturel, habité historiquement par les « gens d’eau », ou Bobanguis (Bobangi).
Au-delà de la Cuvette congolaise, côté Congo Brazzaville, l’Arem’eau entend élargir ses actions à la sous-région du Bassin du fleuve Congo, et les inscrire dans le cadre de l’économie bleue.
Membre fondateur de l’Arem’eau, dont il fut le Secrétaire général de 1998 à 2020, Émile Aurélien Bongouandé en est aujourd’hui le Vice-président d’honneur. Il s’est confié à Makanisi sur l’historique et les objectifs de l’association, les initiatives qu’elle a engagées et les problèmes rencontrés par les gens d’eau.
Dans de prochains entretiens, seront abordées les dimensions économique, écologique, sociale et culturelle de l’espace des « gens d’eau ».
Propos recueillis à Brazzaville par Muriel Devey Malu-Malu
Makanisi : Pouvez-vous nous présenter l’Arem’eau ?
Vice-Président d’honneur de l’Arem’eau
Émile Aurélien Bongouandé : L’Association des ressortissants du monde d’eau (Arem’eau) a été créée le 26 avril 1998 à Brazzaville. De 400 adhérents à ses débuts, elle n’en compte plus que 200. Une baisse largement compensée par le nombre grandissant de sympathisants, notamment de membres d’honneur, qui lui apportent appuis financiers, techniques et réflexions. L’Arem’eau est une sorte de syndicat qui défend les intérêts des « gens d’eau ». Son but est de de trouver des solutions aux différents problèmes auxquels ces populations sont confrontées, qui sont à la fois sanitaires, économiques, écologiques et de pauvreté grandissante. L’association agit aussi en direction des gouvernants, tant sur le plan local que national, pour que ces derniers prennent en compte les préoccupations des populations et en fassent leurs priorités.
L’Arem’eau est une sorte de syndicat qui défend les intérêts des « gens d’eau ».
Qui sont ces populations que vous qualifiez de ressortissants du monde d’eau ?
Ce sont des Bangalas, et plus particulièrement des Bobanguis, qui forment une branche des Bangalas. Parmi les Bangalas, qui parlent la langue lingala, il y a ceux qu’on appelle les Terriens, qui peuplent la zone continentale de la Cuvette, et les Bobanguis, qui habitent la partie fluviale et sont riverains des cours d’eau. On les nomme les « gens d’eau ». Les Bobanguis sont des populations essentiellement tournées vers l’activité de pêche. L’agriculture n’y est que de subsistance.
Parmi les Bangalas, il y a ceux qu’on appelle les Terriens, qui peuplent la zone continentale de la Cuvette, et les Bobanguis, qui habitent la partie fluviale et sont riverains des cours d’eau. On les nomme les « gens d’eau ».
Lire aussi : Le fleuve Congo en bref. https://www.makanisi.org/le-fleuve-congo-en-bref/
Sur quels départements s’étend l’action de votre association ?
Les actions de notre association s’étendent sur quatre départements : les Plateaux, la Cuvette, la Likouala et la Sangha. Lorsque on part de Brazzaville, la route monte progressivement pour atteindre les plateaux Batékés. Puis elle redescend vers le département de la Cuvette. Ce département compte une vaste dépression qui s’étend jusqu’aux départements de la Likouala et de la Sangha. Cette zone, qui fait partie du Bassin du Congo, regroupe les rivières qui se jettent dans le fleuve Congo. C’est dans cet espace géographique qu’évolue notre association.
Tous les districts de ces 4 départements ne font pas partie de la Cuvette congolaise…
EAB : En effet. Nous n’avons pas pris en compte tous les districts que comprend chaque département cité. Nous n’avons retenu que les zones concernées par les grandes inondations. Il s’agit des districts de Makotimpoko dans les Plateaux, de Tchikapika, Ntokou, Loukoléla, Mossaka, Bokoma et des localités de Lokakoua et Kouyoungandza dans la Cuvette, du district de Liranga dans la Likouala et de celui de Pikounda dans la Sangha.
Nous n’avons retenu que les zones concernées par les grandes inondations.
Un même district peut-il abriter les deux types de populations ?
Oui. Dans les Plateaux, le district de Mpouya comprend des continentaux, qui font de l’agriculture, et des gens d’eau qui s’adonnent à la pêche. C’est le cas également le long de la rivière Alima où de grands villages, situés à l’intérieur des terres, abritent des agriculteurs. Ce sont généralement des populations mbochi, qui ne sont pas riveraines de ce cours d’eau, où il y a d’ailleurs peu de ports.
Quels sont les principaux problèmes auxquels les gens d’eau sont confrontés ?
Les défis majeurs de cet espace sont les difficultés de communication, les inondations, les épidémies, les menaces sur les activités principales, en particulier la pêche, la dégradation continue de l’environnement. A cela, s’ajoute la pauvreté grandissante, qui représente un frein à la scolarisation et à la qualité des soins de santé de la population.
Les défis majeurs de cet espace sont les difficultés de communication, les inondations, les épidémies, les menaces sur les activités principales, en particulier la pêche, la dégradation continue de l’environnement.
Quelles sont les maladies dont souffrent particulièrement les gens d’eau ?
Sur le plan sanitaire, ces populations sont particulièrement affectées par le paludisme, la trypanosomiase ou maladie du sommeil et les maladies diarrhéiques. Ce sont des maladies cycliques, liées à l’eau. Après la période de hautes eaux, qui intervient entre octobre et décembre, les gîtes de moustiques se multiplient, lorsque les eaux se retirent, ce qui occasionne beaucoup de cas de paludisme.
Lire aussi : Fleuve Congo : un voyage de 4700 km dans l’espace et dans le temps. https://www.makanisi.org/fleuve-congo-un-voyage-de-4700-km-dans-lespace-et-dans-le-temps/
Mais les inondations n’ont pas que des aspects négatifs…
Oui, en effet. Lorsqu’il y a des inondations, les eaux envahissent les forêts, qui deviennent des forêts inondées dans lesquelles les poissons viennent pondre des œufs. Quand les eaux se retirent, les poissons quittent ces zones forestières et regagnent les rivières et le fleuve. C’est à cette époque que la pêche est particulièrement fructueuse. Les inondations sont donc aussi une bonne chose pour les pêcheurs. La Cuvette congolaise est une zone riche en ressources halieutiques et une grande zone de reproduction des poissons. On pourrait la qualifier sinon de grenier du Congo, du moins de « mère nourricière en poissons du Congo ». Sa première vocation est la pêche. Reste que les autorités du pays doivent faire des efforts pour draguer les cours d’eau afin de faciliter la circulation des pirogues et la pêche.
La Cuvette congolaise est une zone riche en ressources halieutiques et une grande zone de reproduction de
spoissons. On pourrait la qualifier sinon de grenier du Congo, du moins de « mère nourricière en poissons du Congo »
Quelles sont les grandes actions que vous avez entreprises depuis la création de l’association ?
Nous avons fait de grandes campagnes contre la mouche tsé-tsé, qui transmet la maladie du sommeil. On a équipé des hôpitaux et donné des médicaments, notamment pendant les grandes périodes d’inondations, dans les années 1990 et 2000. On a également fourni des manuels scolaires aux collèges et aux lycées de la zone. Outre les aides qu’elle apporte aux populations, l’Arem’eau fonctionne comme un centre de réflexion, un bureau d’études, qui planche sur des questions diverses, liées au développement de cet espace et à la culture des gens d’eau.
Comptez-vous élargir vos actions à des zones autres que la Cuvette congolais, mais qui sont elles aussi liées au monde de l’eau ?
Oui, nous voulons étendre notre action au-delà de notre espace géographique. Compte-tenu de l’importance de l’eau dans le Bassin du Congo, nous avons organisé en septembre 2022, avant la tenue de la COP 27, un colloque sur le thème « Le Bassin du fleuve Congo, depuis la source du fleuve jusqu’à son embouchure, et les enjeux du changement climatique ». Nous avons pris en compte les affluents du Congo dans notre réflexion. Nous avons invité à ce colloque des Camerounais, des Centrafricains, des Gabonais et des Congolais de RDC.
Les changements climatiques se caractérisent à la fois par des périodes de sécheresse et des pluies torrentielles qui entraînent de fortes inondations. Ces manifestations climatiques touchent autant les agriculteurs que les pêcheurs qui vivent dans le Bassin du Congo.
Lire aussi : Écologie : « L’Africain doit écouter les scientifiques ». https://www.makanisi.org/ecologie-lafricain-doit-il-ecouter-les-scientifiques/
Comment se manifestent les changements climatiques dans le Bassin du fleuve Congo ?
Les changements climatiques se caractérisent à la fois par des périodes de sécheresse et des pluies torrentielles qui entraînent de fortes inondations. Ces manifestations climatiques touchent autant les agriculteurs que les pêcheurs qui vivent dans le Bassin du Congo. La sécheresse affecte la culture du manioc. Le manque d’eau perturbe également la reproduction des poissons et donc la pêche, ainsi que la navigation. Si la sécheresse dure longtemps, les rivières deviennent des bancs de sable, la végétation et les arbres poussent dans les lits des cours d’eau. Aujourd’hui, on circule difficilement entre Bangui et Brazzaville. De même, le trop plein de pluies rend difficile les prises de poissons et la navigation.
Comment allez-vous procéder pour étendre vos actions à l’ensemble du Bassin du fleuve Congo ?
L’Arem’eau existe aussi en RDC. Nous voulons donc créer, ensemble, une fédération qui permettra de renforcer nos actions de part et d’autre du fleuve et de promouvoir l’économie bleue.